Marie Claire

Paroles d’adopté·es

- Par Catherine Durand

Nés sous X ou au bout du monde, ils ont grandi en France dans une société obsédée par le lien biologique. Aujourd’hui adultes, quel regard portent-ils sur leur histoire? Sur l’adoption? Et quel chemin intime ont-ils dû emprunter pour construire leur identité? Marie Claire a donné à trois d’entre-eux l’occasion de se raconter.

«ALORS QUE J’ÉTAIS VENUE RÉCUPÉRER MON FILS À UNE FÊTE D’ANNIVERSAI­RE, une fillette de sa classe m’a demandé en chuchotant et en épelant bien le mot comme pour ne pas éventer un secret : “C’est vrai que Milan a été a-d-o-p-t-é ?” » raconte, amusée, Caroline, qui a adopté son fils au Vietnam. Ces enfants venus du bout du monde ou nés sous X en France suscitent bien des réactions – curiosité, fantasmes, angoisses – et, hélas, n’échappent pas en grandissan­t aux questions intrusives et aux réflexions racistes. Longtemps cantonnée aux « belles histoires », l’adoption est passée aux faits divers – l’affaire Arche de Zoé –, aux pages people avec Angelina Jolie ou Laeticia Hallyday, puis au débat de société virulent quand elle s’est ouverte aux couples de même sexe.

Avec une constante : on entend rarement la voix des des premier·es concerné·es, pourtant nombreux – il y a eu 231000 adoptions plénières entre 1950 et 2016 en France, dont 95824 personnes adoptées à l’internatio­nal entre 1980 et 2015 (1). « Aujourd’hui, la parole se libère, constate Sébastien Roux (2), sociologue chargé de recherche au CNRS, grâce à des rencontres, des séminaires, des figures qui émergent comme Amandine Gay, des réseaux internatio­naux, et des adopté·es qui retrouvent ou sont retrouvé·es par leur famille de naissance via les réseaux sociaux et les tests génétiques.» Née sous X en France, Amandine Gay, auteure du documentai­re Ouvrir la voix (3) et en montage du prochain, Une histoire à soi, sur l’adoption avec cinq témoins âgés de 25 à 53 ans, a aussi créé le Mois des adopté·es (4) : « On nous a présenté l’adoption sous sa dimension morale et humanitair­e, il faut parler de ses dimensions économique, géopolitiq­ue, raciale de façon dépassionn­ée dans l’espace public. L’adoption est le miroir magnifiant de l’absence de réflexion sur les parentalit­és et les droits des enfants en général. » La réalisatri­ce aime ainsi prendre l’exemple de l’expatriati­on: «Les Occidentau­x se déplacent pour le travail, pourquoi pas pour faire famille ? On déracine les enfants, or il ne suffit pas d’avoir une famille pour se construire sachant que grandir Noir·e en Haïti, c’est appartenir à la norme, en France, c’est devenir une minorité. Il en a fallu de l’activisme du côté des adopté·es pour dire : “Moi, mon problème n’est pas de ne pas connaître ma mère biologique mais d’avoir été une femme noire dans la campagne française.” Candidat·e à l’adoption, vous devez vous poser des questions: qui fréquentez-vous? Qui désirez-vous ? Et si ça choque, tant mieux, comme cette travailleu­se sociale provocatri­ce qui demande : “Vous avez conscience qu’un beau bébé noir va devenir un grand nègre?’’» Aujourd’hui, en France et c’est heureux, la famille est devenue plurielle.

«Les adoptés confrontés plus tôt que les autres à la diversité familiale ont été les premiers à faire les frais d’un rappel à la norme, encore prégnante », explique Sébastien Roux. Comme Amandine, Joohee et Arzhel, mais riches d’une «histoire à soi», d’une identité et d’une vision de la parentalit­é plurielles, ils prennent désormais la parole. Écoutons-les.

1. L’adoption, de Jean-François Mignot, éd. La Découverte.

2. Familles: nouvelle génération, éd. PUF.

3. Sur boutique.arte.tv/detail/Ouvrir_la_voix

4. Du 19 au 21 novembre, programmat­ion.maifsocial­club.fr

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