Marie Claire

« Je vis une relation secrète depuis le collège »

- Propos recueillis par Laure Marchand Illustrati­ons Joel Burden

Indépendan­te, mariée et mère de deux adolescent­s, Julie, 43 ans, a entretenu toute sa vie une liaison passionnée avec son flirt de quatrième. C’était sa bulle d’insoucianc­e, le plaisir que personne ne lui volerait. Jusqu’à ce que son amant de trente ans commence à l’envisager sous un autre angle…

À «ENTRE NOUS, IL Y A UN DÉSIR DE DINGUE. chaque fois qu’on se voit, on se roule des pelles comme des malades. Je n’ai jamais connu cette intensité avec quelqu’un d’autre et ça fait trente ans que ça dure. J’ai 43 ans. J’en avais 13 quand je suis tombée amoureuse de lui. J’étais au début de ma quatrième, lui était en seconde. Ce n’est pas qu’il était beau, non, mais il avait un truc, un charme, une assurance. Longtemps, il ne s’est rien passé. Il captait plein d’autres filles, sortait avec toutes celles qu’il voulait. Moi, j’avais droit à des sourires, des clins d’oeil, c’est tout. Il maintenait le lait sur le feu en quelque sorte. À la fin de ma seconde, lors d’une fête de village, enfin, il m’a embrassée. Puis, plus rien, jusqu’à ma terminale, deux ans plus tard. Ce samedi soir, nous étions en boîte de nuit. Mes parents étaient absents, nous sommes allés chez moi. C’était ma première fois et elle était magnifique. Il y est allé mollo, a tout bien fait, tout ce qu’il fallait pour donner envie de recommence­r. Et on a recommencé. C’était des histoires d’une nuit, de fins de soirée. Il me renvoyait à 6 heures du matin, je traversais la ville en petite tenue, avec mon secret et mon maquillage qui dégoulinai­t. J’étais à sa dispositio­n. J’attendais un signe. Je guettais un regard. Totalement amoureuse. À sa merci. Vers la fin de l’adolescenc­e, je me souviens qu’il m’avait dit qu’il ne pourrait jamais vivre avec moi car je n’étais pas “assez salope”. Je ne suis pas devenue plus salope mais les équilibres entre nous ont fini par changer. Sans que je m’en aperçoive.

CINQUANTE FOIS, ON S’EST DIT QUE C’ÉTAIT FINI, durant toutes ces années. Mais je ne peux pas me passer de lui. Notre relation n’a jamais cessé. La plus longue période sans nous voir a dû durer trois ans. Je venais de rencontrer mon futur mari, pendant mes études. J’ai eu un coup de coeur pour lui et rapidement nous avons eu nos enfants. De son côté, lui était très amoureux d’une fille. Mais rapidement, nos rencontres ont repris. J’habite à Paris avec ma famille. Lui est aujourd’hui séparé de la mère de son fils. Il vit toujours dans la petite ville de notre enfance. J’y retourne plusieurs fois par an, dans la maison familiale. Aucun·e de nos ami·es n’est au courant. Sauf une copine à qui je viens de raconter notre histoire clandestin­e. Elle est tombée des nues.

Le secret est inhérent à notre relation. Lorsque j’arrive sur place, je lui envoie un message : “Je suis là, veux-tu me voir?” Je me déplace également beaucoup en France pour mon travail. Nous nous retrouvons à l’hôtel. Depuis quelques mois, la fréquence a augmenté.

Pour le confinemen­t, bien sûr, j’ai filé me réfugier là-bas avec ma famille. Je l’ai prévenu que j’étais arrivée mais que je pensais que je ne parviendra­i pas à passer chez lui. Il m’a répondu: “On se reverra aux beaux jours.” Finalement, j’ai réussi à y aller à deux reprises. Je m’y suis arrêtée après avoir fait les courses. Ça a été hyper-bref, un peu nul même car, à chaque fois, j’avais mes règles. J’étais tout de même contente de le voir. Le 11 mai, mon mari est remonté à Paris pour travailler. Je lui ai envoyé un SMS dans la foulée. Je suis restée car je pouvais télétravai­ller. Un peu pour lui aussi. Mes enfants sont adolescent­s: les jeux vidéos, les copains le soir… Ils ne manifesten­t aucun intérêt pour l’emploi du temps de leur mère. Je suis tranquille.

BULLE. Ma parenthèse CETTE RELATION, C’EST MA cool dans laquelle je m’autorise à m’accorder du plaisir. J’oublie tout, le quotidien speed où il faut toujours penser le coup d’après, s’occuper de tout, de tout le monde. Ces derniers temps, cependant, il répétait que ce que l’on faisait n’était pas bien, qu’on allait finir par se faire confondre. Et si quelqu’un nous reconnaiss­ait en voiture ? Il a commencé à faire des commentair­es à propos de la vieillesse, sur le ton de la blague: “Quand tu auras la maladie d’Alzheimer, tu diras mon nom à tout le monde” ; “Promets-moi que nous serons amants jusqu’à la fin de nos vies”… Sur le coup, je n’y ai pas prêté plus d’attention que ça. Et puis, après le confinemen­t, j’ai passé la dernière nuit chez lui. En plein milieu de la soirée, il m’a dit qu’il ne pouvait plus continuer ainsi. Il se sentait trop mal par rapport à nos enfants et mon mari. Il en avait assez de se cacher vis-à-vis de son fils. Il voulait une vraie belle-mère pour lui mais ne voulait pas non plus être la cause de mon divorce. Ce soir-là, j’ai dormi dans le salon. Le lendemain matin, je suis rentrée chez moi à Paris. Je devais évidemment donner le change alors que j’étais au plus bas. Je ne sais pas si c’est un manque d’intelligen­ce de ma part, mais en tout cas je suis très premier degré. Je l’ai cru quand il a dit que l’on ne se reverrait plus jamais. Je me demandais comment j’allais faire sans lui.

“Il a été pris à son propre piège : il est amoureux de la femme que je suis devenue. Et moi, est-ce que j’aime celui qu’il est aujourd’hui ? Je n’en suis pas si sûre…”

Je suis allée demander de l’aide à une psy. Ces trois séances ont été un choc. Elle m’a dit qu’il avait été pris à son propre piège. Il aimait la femme que j’étais devenue et, clairement, voulait faire sa vie avec moi. Je ne voulais pas voir cette vérité. Et moi ? Est-ce que j’aime celui qu’il est devenu? Je n’en suis pas sûre. Quand il me reproche de dépenser douze euros pour un cocktail, j’entrevois un quotidien qui pourrait être compliqué. Je m’assume financière­ment, je veux pouvoir claquer cent euros pendant une soirée si j’en ai envie. Concernant mes sentiments, est-ce que je cristallis­e, comme la psy l’a évoqué? Est-ce que je cherche à revivre les émois de mon adolescenc­e ? J’ai gardé un côté très ado, c’est vrai. Dès que je retourne dans ma petite ville, je revois mes ami·es de l’époque. Ces personnes sont très importante­s pour moi. J’adore organiser des apéros, aller en boîte. J’ai même encore des fringues du lycée, c’est dire. Certain·es trouveront qu’il y a un rapport un peu pathétique à l’adolescenc­e. Franchemen­t, je le vis bien, ça me va. Au quotidien, je suis indépendan­te, pas du tout inconséque­nte. Il y a un peu de nostalgie, bien sûr, mais également beaucoup de joie, comme l’était la période de ma jeunesse. Cet amour fait partie du package, si j’ose dire.

DÉSORMAIS, JE NE SAIS PAS CE QUE J’ATTENDS. Ces dernières années, je ne me projetais pas, je vivais notre relation au jour le jour. Comme lui l’avait construite, en fait. Il m’avait donné cette éducation d’une certaine façon. Je ne vais pas tout quitter pour le rejoindre. Avec le temps, j’ai acquis de l’expérience.

Comment faire? Je suis bien obligée de me poser des questions. Il faut que j’apprenne à moins surréagir, à me protéger. Il est également évident que je ne veux pas le faire souffrir. J’ai bien compris qu’il était aussi paumé que moi. Je dois le prendre en compte, même si lui ne l’a jamais fait pour moi pendant toutes ces années. Au fond de moi, je crois que tant que nous vivrons, que nous serons tous les deux en vie, notre histoire durera. La solution serait peut-être qu’il rencontre une femme avec qui il construira­it quelque chose de solide. Pendant un an, il ferait l’enfant de choeur comme il l’a fait avec toutes les autres. Et puis il me rappellera­it.»

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France