Marie Claire

Féministe ta mère

Chaque mois, la journalist­e Giulia Foïs s’attaque à un stéréotype qui colle à la peau du mouvement #Me#Too. Et parfois au cerveau de sa mère, pourtant bien constitué.

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« Parfois, la vie finit par être chouette. Comme quand tu tombes sur un mec chouette, que, passés les premiers tâtonnemen­ts, tu rencontres sa fille, et que tu t’entends bien avec. C’est d’ailleurs si chouette que t’en parles à ta mère : “C’est sympa, tu vois, elle me lance sur des sujets féministes, le post #MeToo, les rapports femmes-hommes, tout ça…” Sauf que la mienne répond : “Mais parce qu’elle sent que tu en veux aux hommes et ça doit la préoccuper.” J’ai failli me fourrer le rimmel dans la cornée. Et failli répondre. Mais non : une immense fatigue m’a cimenté la bouche. En vrai? Parfois, j’en ai marre. Marre de rappeler que oui, j’aime les hommes, que d’ailleurs, j’en ai un à la maison, qu’il n’a pas l’air malheureux et que, quand bien même je serais lesbienne, ce serait d’abord par amour pour les femmes plus que par dégoût des hommes. C’est aussi débile que si je devais exhiber un meilleur ami noir pour prouver que je n’étais pas raciste. Et c’est limite humiliant de devoir dire qu’on aime la bite pour pouvoir critiquer le système. Parce que c’est bien d’un système qu’il s’agit. Et c’est bien lui qu’on vise parce qu’il autorise, voire encourage, l’écrasement d’une moitié de l’humanité par l’autre – même si on peut en avoir marre de le rappeler. Marre qu’on nous enferme dans une logique émotionnel­le primaire, celle d’une bande de gamines qui seraient très très fâchées contre le fils du voisin parce qu’il a le plus beau doudou de la cour. Évidemment, on est en colère – comment ne pas l’être? Mais on rêve d’un jour où on nous accorderai­t le crédit d’une pensée un peu plus élaborée. Qu’on ne soit plus forcées de sourire quand on encaisse les chiffres des disparités salariales (25 %), des féminicide­s (146 en 2019), ou des plaintes pour violences sexuelles classées sans suite (73 %). Ce monde-là est abject. Sans atermoieme­nt, sans indulgence possible. Dans ce monde-là, tous les hommes ne sont pas des agresseurs. Mais à une écrasante majorité, les agresseurs sont des hommes. Ça n’est pas à nous de les rassurer en leur répétant qu’on les aime. C’est à eux de faire en sorte qu’on ne les déteste pas – celle-là, je la sortirai à ma belle-fille.»

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