Marie Claire

AMANDINE GAY, 36 ANS,

RÉALISATRI­CE, VIT ENTRE PARIS ET MONTRÉAL.

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«J’ai toujours su que j’avais été adoptée sous X. Née en octobre 1984, je suis arrivée chez mes parents en février 1985 dans un petit village près de Lyon. Mon frère avait 12 ans. L’élément le plus déterminan­t de ma vie est d’être une femme noire, l’adoption n’a pas été vécue tout de suite comme un sujet politique. J’ai connu ce qu’on appelle le “fardeau narratif” : c’est faire ses courses au supermarch­é avec ses parents blancs, être dans le chariot et entendre : “Alors vous l’avez trouvée où? Et elle a coûté cher?” Mes parents ont fait de leur mieux, mais ils ne pouvaient pas maîtriser leur environnem­ent. Même si ma mère institutri­ce, qui avait vécu en Guadeloupe, a fait acheter un poupon noir pour la classe. Je me rappelle de ce jour en maternelle où on m’a dit: ‘“Je ne joue pas avec toi, tu es noire”. Et de la première fois où on m’a demandé: “Pourquoi ta maman est blanche, elle est où ta vraie maman ?” Le concept de vrais parents, c’est la société qui l’inculque aux enfants adoptés, la question même de notre appartenan­ce à la communauté française vient de l’extérieur. Dans une société où n’existerait pas cette obsession de la filiation biologique et qui ne serait pas raciste, je ne me serais pas posé de questions. Le moment précis de ma prise de conscience est quand, à 18 ans, je suis allée chercher mon dossier à la DDASS, accueillie par une bureaucrat­e sans coeur, je n’ai eu droit qu’à la photocopie. Cela a heureuseme­nt évolué, il y a désormais une maison de l’adoption à Lyon où on est reçu par des psys, mais reste l’impression qu’on n’a pas de pouvoir sur notre histoire, que beaucoup de gens détiennent plus d’infos que nous. J’ai découvert que ma mère biologique était marocaine et mon père français, sans aucune précision, juste: “Elle a une belle peau brune comme sa maman.” Qui des deux était noir-e? J’ai fait tous les tests ADN et retrouvé des cousin·es germain·es en Martinique. Je fais partie de l’histoire de France : moitié Martiniqua­ise, moitié Marocaine, je me retrouve à naître sous X sur le territoire métropolit­ain, c’est une très belle conclusion de l’histoire esclavagis­te et coloniale française. (Rires.) J’ai eu envie de découvrir les lieux de mes origines. Le Conseil national pour l’accès aux origines personnell­es (CNAOP) a retrouvé ma mère biologique, qui m’a fait parvenir toutes les infos. À moi de faire le premier pas pour la rencontrer. Mais je m’en moque un peu, si quelqu’un n’est pas branché ni n’a de fantasme sur la parentalit­é biologique, c’est bien moi, qui viens de demander une hystérecto­mie. On reste une personne adoptée toute sa vie, ça fait partie de son identité, Française avec une partie de ses origines qu’on ne maîtrise pas. On a plusieurs parents, connus et inconnus, une vision de la société que les autres n’ont pas. Je ne suis pas juste une femme noire, je suis une femme noire adoptée. »

“J’ai connu ce qu’on appelle le ‘fardeau narratif ’ : c’est faire ses courses au supermarch­é avec ses parents et entendre : ‘Vous l’avez trouvée où ? , Elle vous a coûté cher ?’”

 ??  ?? 1. «Moi, enfant, avec ma coupe afro… une vieille histoire d’amour.» 2. «Nous partions en montagne presque tous les étés et notre famille (ici, ma mère, ma cousine, mon grand frère et moi, sur les épaules de mon père) passait rarement inaperçue.»
1. «Moi, enfant, avec ma coupe afro… une vieille histoire d’amour.» 2. «Nous partions en montagne presque tous les étés et notre famille (ici, ma mère, ma cousine, mon grand frère et moi, sur les épaules de mon père) passait rarement inaperçue.»

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