Marie Claire

ARZHEL HENRY, 30 ANS,

ENSEIGNANT, EXPERT EN COMMUNICAT­ION NUMÉRIQUE, VIT À LANNION.

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“J’ai un sentiment d’appartenan­ce très fort à la Bretagne (…) mais je me sens de plus en plus Français et prêt à affirmer une identité noire.”

«De ma naissance à Djibouti en juillet 1990, je n’ai que deux documents : une photo de ma maman biologique, éthiopienn­e, et un acte de naissance. Je suis arrivé en France en mars 1991. Mes parents ont eu deux enfants biologique­s après moi, et jamais il n’y a eu de différence de traitement entre nous trois. J’ai vécu dans une bulle jusqu’à 6 ans. En primaire, il y avait deux Noirs, un Antillais et moi… mais peu venaient souligner ma différence. Au collège, j’ai fait profil bas: quand tu es très minoritair­e, sortir du cadre, c’est risquer les raccourcis et les amalgames.

Il y avait plus de diversité au lycée où je me suis fondu dans la masse tout en m’éloignant des stéréotype­s associés aux personnes de couleur pour justement ne pas les renforcer. Arzhel, le prénom choisi par mes parents, est breton mais mon prénom de naissance, Mohamed, est inscrit sur ma carte d’identité. Je l’utilise pour des démarches administra­tives, avec des amis proches mais pas dans mon village de 2000 habitants. Je suis breton français. J’ai un sentiment d’appartenan­ce très fort à cette communauté mais depuis quatre ans, je me sens de plus en plus Français et prêt à affirmer une identité noire. Je me revendique de la culture et des valeurs françaises, et pour moi, nous confronter à notre histoire et en assumer les erreurs est patriote. Cela nous fera avancer et éviter les crispation­s actuelles. J’ai été contrôlé dix fois en un an en voiture à proximité de mon domicile. Les manières d’interpelle­r des forces de l’ordre étaient agressives et humiliante­s, je suis resté poli mais j’en tremblais. Je n’avais pas parlé de racisme avec mes parents depuis le CE1, de peur qu’ils culpabilis­ent. Ça m’a soulagé mais ils sont aussi démunis que moi.

Maîtriser ce qu’on renvoie aux autres dans l’espace public, c’est éviter de se faire emmerder, ne pas se soucier de son apparence est le luxe des personnes à l’aise partout. Ce n’est pas un hasard si j’aime la mode*. Créatif, je veux évoluer dans l’échelle sociale, j’ai pas envie de gâcher ma chance, cela m’émeut d’en parler. Quitte à être en Côtesd’Armor, en France, avec une famille qui m’a bien éduqué, autant en tirer le meilleur. Évidemment, c’est plus simple de vivre à Paris. Ici, les Noir·es sont dans d’autres situations sociales que la mienne. J’ai vécu des rappels à la différence lorsque je travaillai­s en collectivi­té territoria­le. Plusieurs fois, on a cru que j’étais un “contrat emploi d’avenir”, un jeune en difficulté issu des quartiers alors que j’étais bien mieux payé que les collègues qui me posaient la question. C’est comme dans les lieux où on ne me connaît pas, la question inévitable est : “D’où tu viens?” Et à eux, on leur demande? L’universali­sme est une superbe idée, comme on aime à le penser en France, mais on en est loin si la couleur de peau, le lieu de naissance ou la sexualité nous différenci­ent de ceu@x qui correspond­ent à la norme.»

(*) https://podcast.ausha.co/veture

 ??  ?? 1. «Je suis avec mes parents et nous fêtons mes 2 ans. C’est mon oncle Ahmed qui prend la photo. » 2. « Je suis devant la maison familiale et c’est mon papa Michel qui fait ce portrait. Il aimait beaucoup prendre des photos. J’ai la chance d’avoir des images souvenirs de cette qualité. »
1. «Je suis avec mes parents et nous fêtons mes 2 ans. C’est mon oncle Ahmed qui prend la photo. » 2. « Je suis devant la maison familiale et c’est mon papa Michel qui fait ce portrait. Il aimait beaucoup prendre des photos. J’ai la chance d’avoir des images souvenirs de cette qualité. »

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