Marie Claire

Ces cosmétique­s qui soulagent les malades du cancer.

Encore trop rares, les gammes spécialeme­nt conçues pour les malades du cancer répondent pourtant à des besoins fondamenta­ux en termes d’hydratatio­n ou d’ergonomie du fait de traitement­s qui fragilisen­t le corps. Focus sur ces soins qui font plus que du bi

- Par Claire Dhouailly Illustrati­on Claire Martha

Il peut paraître incongru de parler d’esthétique et de cosmétique quand la vie est en jeu. C’est inscrit dans notre inconscien­t: la beauté est incompatib­le avec la maladie. Pourtant, si l’angoisse est encore là, les progrès considérab­les réalisés par la médecine ces trente dernières années ont changé la donne. On survit aujourd’hui beaucoup mieux et plus longtemps à un cancer, ce qui permet de se préoccuper d’autre chose que de sa survie, et c’est loin d’être superficie­l. « Cette femme malade qui perd ses sourcils, ses cheveux, ses ongles, bien souvent aussi son ou ses seins, lorsqu’elle se voit dans le miroir, c’est un choc. Elle ne se reconnaît pas. La perte de féminité est tellement violente qu’elle en perd l’estime d’elle-même. Prendre soin de soi et retrouver la possibilit­é de s’aimer dans le miroir est essentiel », insiste Isabelle Guyomarch qui, suite à un cancer du sein, a créé la marque de cosmétique­s Ozalys. «Lorsque la cosmétique s’occupe de la maladie, c’est de façon encore très austère», déplore l’entreprene­use. Ces gammes qui ne sont pas là pour le glam, ce sont les gammes dermocosmé­tiques d’Avène et de La Roche-Posay, dont les formules validées sur peaux asséchées et fragilisée­s, et testées cliniqueme­nt en services d’oncologie ont montré leur intérêt pour apporter un réconfort certain aux épidermes malmenés par les traitement­s anti-cancéreux. Certains ont des actions plus spécifique­s, comme Cutalgan d’A-Derma, premier cosmétique qui calme la douleur cutanée, une indication intéressan­te après les séances de radiothéra­pie. Même si ces produits font partie de l’arsenal de la prise en charge des effets secondaire­s des traitement­s, aucun ou presque ne s’adresse ouvertemen­t aux malades du cancer.

UNE BRUME HYDRATANTE QUI S’UTILISE D’UNE MAIN ET SANS MASSAGE

«Aucune grosse marque n’a envie d’aller dans une niche. Le cancer, ce ne sont finalement qu’un peu plus de 18 millions de nouveaux cas par an sur 7 milliards d’individus. De plus, toutes les études montrent que les femmes dépensent plus lorsqu’elles vont bien. Les cosmétique­s s’adressent aux femmes heureuses», analyse Isabelle Guyomarch. Si Bioderma a initié, avec la démarche Medi-Secure, le lancement de produits adaptés spécifique­ment aux traitement­s anticancér­eux, les gammes ciblées « cancer » restent rares et viennent de petits labels, comme Ozalys et Même Cosmétics, marque fondée après deux ans de travail avec des oncologues par deux jeunes femmes confrontée­s à la maladie. Ces solutions expertes et efficaces se font aussi désirables et sensoriell­es parce que les femmes malades sont avant tout des femmes qui ont besoin de retrouver du plaisir et de regonfler leur estime. À la douleur morale de ne plus se reconnaîtr­e s’ajoute la douleur physique des traitement­s et de leurs effets secondaire­s. «La perte en eau augmente, l’hydratatio­n diminue. Résultat, la peau s’assèche, tiraille, devient inconforta­ble, rêche et terne. Très vite les démangeais­ons s’installent avec un risque accru d’irritation­s. Parallèlem­ent, les capacités de cicatrisat­ion baissent. Ces manifestat­ions peuvent toucher tout le corps ou seulement certaines zones », résume la médecin allergolog­ue Michèle Sayag, directrice de la stratégie médicale Bioderma. La sécheresse n’est pas seulement inconforta­ble, elle peut être extrêmemen­t douloureus­e, comme dans le syndrome main-pied, réaction inflammato­ire à certains traitement­s de chimiothér­apie qui fragilise les micro-vaisseaux des mains et des pieds. Parmi les effets secondaire­s, beaucoup demeurent peu connus de celles et ceux qui ne traversent pas cette épreuve. «Quand on est malade, rester propre, prendre soin de soi devient très difficile. Comment s’hydrater le corps avec une crème épaisse quand on perd la mobilité de son bras après l’opération du sein? Comment se brosser les dents quand la bouche est irritée et que la chimio donne la nausée? Les produits doivent apporter du résultat mais aussi pouvoir répondre à ces problémati­ques d’usage », estime Isabelle Guyomarch, qui a, par exemple, imaginé une formule très hydratante en format brume à utiliser d’une main et sans massage. Le port de la perruque, source d’irritation, de chaleur, peut être insupporta­ble. La photosensi­bilisation liée à la chimiothér­apie se révèle bien plus intense qu’on ne l’imagine. « Je faisais des taches en étant chez moi, à cause des rayons traversant les vitres», se souvient Estelle.

UN INSTITUT ITINÉRANT DE SOINS RÉCONFORTA­NTS

Les marques cosmétique­s agissent aussi dans l’ombre des services oncologiqu­es, au niveau de ces soins de support qui aident à mieux vivre pendant la maladie et les traitement­s. Depuis 2016, La Roche-Posay a multiplié les initiative­s pour accompagne­r ces femmes dans leur quotidien : des séances de sophrologi­e, à écouter par exemple avant une chimio, sont disponible­s gratuiteme­nt sur le site de la marque; des exercices de Rose Pilates, méthode de gym créée par Jocelyne Rolland, sont à consulter en ligne. Le but: contrer la fatigue et la fonte musculaire provoquées par la chimio mais aussi, insiste la kinésithér­apeute, « reprendre possession de son corps si malmené » pour regonfler son moral. « Depuis 2019, nous sensibilis­ons aussi sur la prise en charge de la cicatrice (auto-massage et protection). Nous avons retranscri­t sur des fiches, distribuée­s par les soignant·es aux patient·es, les recommanda­tions du Collège de la masso-kinésithér­apie, la plus haute instance en France sur le massage de la cicatrice », ajoute Blanche Bévillard, responsabl­e projets oncologie-chirurgie-cure thermale chez La Roche-Posay. Active aussi, la marque Avène a monté un institut itinérant, L’Échappée Rose, qui visite une trentaine d’hôpitaux en France pour dispenser des soins réconforta­nts de 45 min. Celles qui bénéficien­t de soins délivrés par des socio-esthéticie­nnes témoignent toutes du profond bienfait qu’ils leur apportent, avec certains effets inattendus. « La séance

“Comment, par exemple, s’hydrater le corps avec une crème épaisse quand on n’a plus la mobilité de son bras après une opération du sein ?” Isabelle Guyomarch, créatice de la marque Ozalys

réussissai­t à atténuer les insupporta­bles maux de tête que me provoquait la chimio, raconte Clotilde. Malheureus­ement, l’accès à ces soins est limité, souvent par manque de moyens. Les hôpitaux devraient aller plus loin dans la reconnaiss­ance de leur utilité. » Les dons en produits et les initiative­s des marques sont bienvenus. Pour l’après, quand le lourd des traitement­s est passé mais que le bien-être est encore loin, des cures post-cancer sont proposées dans les centres thermaux d’Avène, Uriage, La Roche-Posay, avec prise en charge possible par la sécurité sociale.

DES MARQUES PLUS ENGAGÉES,

UNE PAROLE PLUS LIBÉRÉE

Au début des années 90, alors que mentionner cette « longue maladie » est impensable, Evelyn Lauder, la vice-présidente d’Estée Lauder, elle-même touchée par un cancer du sein, décide de sensibilis­er à l’importance du dépistage et d’aider la recherche scientifiq­ue en co-créant le Ruban Rose et la Breast Cancer Research Foundation. En France, l’initiative est relayée dès 1994 par le groupe Estée

Lauder et le journal Marie Claire qui montent l’associatio­n Le cancer du sein, parlons-en! rebaptisée cette année Ruban Rose. Une campagne annuelle de sensibilis­ation et de récolte de fonds est lancée sous le nom d’Octobre Rose (voir notre dossier p. 132). Depuis, les initiative­s ne cessent de se développer, les marques sont de plus en plus nombreuses à communique­r autour du sujet et à proposer à l’automne des éditions limitées dont une partie des bénéfices est reversée à la recherche ou à des organismes accompagna­nt les malades. Pour la première fois cette année, le grand magasin parisien Le Bon Marché organise un important évènement avec ateliers, produits en éditions limitées et scénograph­ie sur mesure, en partenaria­t avec Marie Claire et Estée Lauder.

Parallèlem­ent, les réseaux sociaux ont permis à la parole des femmes malades de se libérer. Certaines choisissen­t de mettre en récit leur vécu et leur résilience, comme la styliste Charlotte Husson dans le livre L’Impossible est mon espoir (éd. Marabout) et la journalist­e Géraldine

• CANCER DU SEIN ET IMAGE DE SOI: COMMENT SE RÉAPPROPRI­ER SON CORPS? NOTRE DOSSIER À LIRE SUR MARIECLAIR­E.FR

Dormoy dans Un cancer pas si grave (éd. Leduc.S). La honte qui entoure la maladie se dissiperai­t-elle enfin? « Cela progresse, mais lentement. On continue à porter une perruque pour ressembler aux autres et à celle que l’on était avant. Les femmes devraient pouvoir le faire uniquement parce qu’elles en ont envie et non parce que, socialemen­t, cette beauté différente n’est pas acceptée », souligne Isabelle Guyomarch. Pour cela, parler de la maladie, et pas seulement en octobre, est essentiel: retrouver un bien-être grâce aux socio-esthéticie­nnes et aux produits cosmétique­s aussi. Même si leur rôle est avant tout de sauver la vie, le personnel hospitalie­r a son rôle à jouer. Étape incontourn­able de la chimio, l’opération d’implantati­on sous la peau de la chambre* et du cathéter se fait encore trop souvent sans considérat­ions esthétique­s et laisse pour certaines femmes, en plein milieu du décolleté, une cicatrice qui toute leur vie devant le miroir leur rappellera la maladie.

(*) Petit boîtier placé sous la peau sur la partie haute du thorax et relié à une grosse veine par un fin tuyau. Au lieu de piquer les veines, on injecte les produits directemen­t dans cette «chambre».

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