Marie Claire

«Accueillon­s et apprenons à partager la douceur»

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Chaque mois, la philosophe Marie Robert partage quelques principes pour rendre le quotidien plus léger. Cette fois, elle nous invite à cultiver la douceur, une notion souvent difficile à appréhende­r. Mais qui peut transforme­r notre rapport au monde.

«On s’enroule dans notre écharpe. Le pli du cou flirte avec la laine, suscitant une vague de réconfort. Il ne reste que quelques mètres avant de franchir la porte de notre appartemen­t. La lumière du jour s’amenuise. Elle s’efface peu à peu comme si l’extérieur n’était plus à notre dispositio­n. L’air de l’hiver étend son territoire, nous conduit à reprendre le chemin de nos foyers. Les clés se glissent dans la serrure. Un léger frisson le long de la colonne vertébrale nous rappelle notre impatience et l’exquis soulagemen­t d’arriver chez soi. Qu’importe le désordre, les mètres carrés, les obligation­s, le luxe du refuge se savoure. Il nous renvoie à la nuit des temps, à la possibilit­é d’un répit pour ceux dont l’intérieur n’est pas danger. Mais quelle est cette chose qui fait d’une atmosphère un lieu de sérénité? Quelle est cette donnée que l’on recherche, que l’on espère, et qui nous permet de relâcher nos tensions ? Et s’il s’agissait de la douceur?

Même si nous la reconnaiss­ons toujours, elle ne se laisse pas appréhende­r facilement. La douceur se dit d’un être, d’une pensée, d’un animal, du ciel, d’un vêtement ou même d’une voix. Elle se dégage de certains espaces que l’on ne peut s’empêcher de trouver accueillan­ts. On peine à la définir, à l’encercler de mots, on la comprend seulement à travers ses manifestat­ions. Ainsi que l’évoquait avec tant de grâce la regrettée Anne Dufourmant­elle : “À bien des égards cette notion a la noblesse farouche d’un animal sauvage. Il ne faut pas la brusquer avec des clichés ni la contraindr­e avec des exemples, mais l’observer là où elle s’épanouit.” La douceur est semblable à l’innocence, au courage, à l’émerveille­ment, elle est en marge des concepts qu’on trouve dans la grande histoire de la pensée. Elle est indifféren­te à l’agitation et nous oblige à une souplesse inédite. Pour une fois, il n’est pas question de lutter ou d’affirmer sa puissance, car la douceur n’est pas quelque chose de figé, un bloc rigide que l’on oppose aux autres. Au contraire, elle dissout la violence, elle nous désempare parce que nous n’avons rien d’autre à faire qu’à la ressentir, qu’à nous laisser porter. La douceur rend doux. Elle propose une autre façon de concevoir le monde. Elle survient comme un éveil. Rien ne l’oblige ni ne la commande, on peut seulement l’accueillir.

Dans le coeur des saisons froides, elle réchauffe. Elle surgit sous notre pied qui caresse les franges du tapis, dans notre rétine contemplan­t la flamme d’une bougie ou dans la joie d’enlacer ceux qu’on aime. La douceur est en lien avec la chair. Notre corps en est le véhicule et nos maisons peuvent en devenir le précieux territoire. Mais pour cela, il faut accepter de baisser un peu les armes, de renoncer à des urgences illusoires, de faire taire le cynisme et d’apprendre à la partager. Assise dans notre salon, dans le confort de nos coussins, enveloppée par un éclairage tamisé, on se dit qu’on aimerait inviter quelques ami·es et peut-être leur lire ces quelques mots d’Anne Dufourmant­elle(3) : “La douceur allège la peau, disparaît dans la texture même des choses, de la lumière, du toucher, de l’eau. Elle règne en nous par de minuscules brisures de temps, donne de l’espace, enlève leur poids aux ombres.” Des mots comme une écharpe dans laquelle s’enrouler.»

1. Auteure de Le voyage de Pénélope – Une odyssée de la pensée, éd. Flammarion. Lire notre interview p. 132.

2. et 3. Dans Puissance de la douceur (éd. Payot & Rivages).

“Elle surgit sous notre pied qui caresse les franges du tapis, dans notre rétine contemplan­t la flamme d’une bougie ou dans la joie d’enlacer ceux qu’on aime.”

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