Léa Seydoux, étoile secrète
Révélée au grand public en 2013 dans La vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche, elle se partage aujourd’hui entre cinéma d’auteur et projets internationaux. Et affichera une belle actualité au printemps, avec
The french dispatch de Wes Anderson et Mourir peut attendre, dans lequel elle endossera pour la deuxième fois le rôle de James Bond girl. À la fois timide et solaire, toujours entre candeur et clairvoyance philosophe, elle se confie à nous, profondément attachante.
Vous êtes l’une des rares personnes dans le monde à avoir vu Mourir peut attendre, le dernier James Bond dont la sortie a été repoussée en mars prochain. Alors, verdict ?
Et encore, je n’ai vu qu’une version dont le montage n’était pas terminé et à laquelle il manquait certains effets spéciaux! Mais j’ai quand même trouvé ça super. Et très drôle: j’aime les réparties smart et cinglantes du héros, son chic anglais. Je prends un grand plaisir, ici, aux courses-poursuites. Quant à Daniel Craig, il réussit à donner une densité, une épaisseur, une vraie complexité à ce personnage iconique.
Il paraît d’ailleurs que c’est Daniel Craig lui-même qui vous a réclamée pour incarner à nouveau la James Bond girl… C’est quelque chose que j’ai entendu dire et que j’aime bien me dire aussi, car ça me flatte, mais lui ne m’en a jamais fait part !
Néanmoins, à quoi tient l’entente entre vous deux ?
C’est étrange, ce qui fait qu’une rencontre marche ou ne marche pas. Daniel Craig, c’est un homme, c’est un Anglais, c’est un acteur qui n’a pas du tout le même âge que moi et, pourtant, il y a un truc chez lui dans lequel je me reconnais: un mystère, une intériorité – dans le paysage hollywoodien, c’est rare. Il se fiche qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas et ça, j’aime bien.
Phoebe Waller-Bridge, la créatrice de la série Fleabag, a été recrutée pour insuffler du féminisme et de la modernité au scénario de Mourir peut attendre. Vous sentez cela dans l’écriture de votre rôle? Un film comme celui-là, vu par des millions de gens, a la responsabilité de refléter les changements du monde dans lequel on vit: ce serait absurde, aujourd’hui, qu’un James Bond nous montre des femmes dominées par les hommes alors que les femmes, justement, prennent de plus en plus la parole. On a besoin de femmes fortes au cinéma alors, oui, les personnages féminins de Mourir peut attendre ont beaucoup de force et ne sont pas objectifiés. Globalement, d’ailleurs, je suis gênée par des rôles qui se définissent seulement par leur sexualité.
Depuis #MeToo, sentez-vous une évolution positive dans le milieu du cinéma ?
Je trouve que la misogynie y est encore beaucoup trop ancrée. C’est un milieu dans lequel des hommes intelligents et cultivés s’autorisent à se montrer misogynes. Pourtant, il n’y a rien de moins sexy que cela, selon moi.
En février dernier, avez-vous suivi la cérémonie des Césars qui a largement récompensé Roman Polanski ?
À cette période-là, j’étais en vacances très loin avec une très mauvaise connexion. Mais en regardant quelques extraits, je me suis dit que, finalement, ce n’était pas plus mal que je ne sois pas là. Quelle cérémonie grotesque! Je ne suis pas du tout pro-Polanski, mais je trouve que certaines attaques, notamment sur le physique, ont été déplacées et desservent le vrai combat. En revanche, quand Adèle (Haenel, ndlr) se lève, c’est un acte autrement plus signifiant.
Vous avez tourné avec Catherine Breillat, Ursula Meier, Ildikó Enyedi… Est-ce qu’il y a chez vous un plaisir particulier à travailler avec des réalisatrices ? Quand un réalisateur, qu’il soit hétéro ou pas, filme une femme, il explore un monde inconnu, une altérité. Avec les réalisatrices, j’ai plutôt l’impression d’être un prolongement d’elles-mêmes : elles et moi, on se parle de nos corps qui sont plus changeants que ceux des hommes, on tisse des solidarités… J’aime beaucoup, oui, ce rapport de sororité.
Rebecca Zlotowski, avec qui vous avez tourné à deux reprises, voit chez vous une sorte de «solitude dans le regard». Vous vous reconnaissez dans cette formule?
Complètement. Être sans attaches, coupée des autres, ça me ressemble. Je me suis souvent sentie transparente, comme si je n’appartenais à aucun monde, comme si même je n’existais pas : prendre sa place, l’occuper, c’était pour moi difficile. C’est profondément pour ça que je suis devenue actrice. Pour combler cette solitude et créer des liens forts avec les gens.
Après Roubaix, une lumière, vous tournez une nouvelle fois, en ce moment, sous la direction d’Arnaud Desplechin. Qu’est-ce qu’il y a de si fort dans son univers pour vous donner envie d’un deuxième projet de film avec lui ?
Arnaud, c’est quelqu’un qui me procure énormément de joies. Explorer le jeu en sa compagnie me passionne. Avec lui, j’ai l’impression que d’un coup, ma pensée s’élargit. Et puis, la façon qu’il a de raconter les sentiments me bouleverse. Pour ce film-là, il a adapté Tromperie de Philip Roth, une très belle histoire d’adultère qu’il aborde avec un mélange de clarté et d’indéfini. C’est très littéraire, alors les dialogues ne sont pas évidents à dire, mais c’est très plaisant, aussi, de trouver sa liberté d’actrice dans ces contraintes-là.
Chez Desplechin, on sent une certaine folie dans les personnages. C’est cela qui vous attire aussi ?
Je dirais peut-être «excessivité» plutôt que folie. Mais oui, j’aime qu’il y ait dans ses films des débordements jouissifs et des émotions qui submergent. Desplechin crée des oeuvres intenses et exaltées qui lui ressemblent.
“Prendre ma place, l’occuper, c’était pour moi difficile. C’est profondément pour ça que je suis devenue actrice. Pour combler cette solitude et créer des liens forts avec les gens.”
Dans un tout autre registre, plus ludique et fantasque, vous serez à l’affiche en 2021 du prochain Wes Anderson (2), aux côtés, entre autres, de Frances McDormand, Bill Murray, Tilda Swinton, Adrien Brody… Quand il y a tant de fortes personnalités sur un plateau, n’est-ce pas difficile de créer une relation particulière avec le metteur en scène ?
Ah non, pas du tout ! C’était très sympa, au contraire, de travailler avec tous ces acteurs qui sont, pour Wes, comme une famille. Chez lui, il n’y a pas de hiérarchies, pas de traitements de faveur, pas de loges pour les acteurs : star ou pas star, on est tou·tes logé·es à la même enseigne. Pendant le tournage, on résidait dans un petit hôtel d’Angoulême. Alors, le soir, les comédiens, les techniciens, les figurants, tout le monde se mêlait et se félicitait les uns les autres. Un chef nous cuisinait de super-plats. On buvait du bon vin. J’en garde un souvenir hyper-joyeux.
Qu’est-ce qui vous enthousiasme dans Simone, le personnage que Wes Anderson vous a écrit ?
Je l’adore. Et je me suis tellement amusée à la jouer… Je crois que Simone est l’un de mes meilleurs rôles. Bon, c’est vrai qu’il m’arrive souvent de dire « ce film-là, ça va être génial ! » : j’ai besoin d’avoir une foi totale dans les longs-métrages que je tourne et de croire que chaque nouveau rôle sera le plus beau de ma carrière. Mais là, vous verrez, c’est vraiment super. Il faut être un génie comme Wes pour mettre autant de richesses et de couleurs dans un petit rôle mais particulièrement drôle. C’est un superbe cadeau qu’il m’a fait.
Il faut dire que votre filmographie ne respire pas spécialement les éclats de rire! Il faudrait peut-être, au cinéma, que j’explore davantage cette facette de ma personnalité car ma veine sombre, elle, je l’ai déjà bien creusée. Sachant que la plus grande drôlerie, celle qui m’intéresse en tout cas, frôle souvent le tragique.
The french dispatch de Wes Anderson devait sortir cet automne mais a été repoussé lui aussi en raison de la pandémie. Comment gérez-vous toutes ces incertitudes et chamboulements ? J’essaie de considérer que cette pandémie fait partie de la vie, que c’est comme ça, qu’il y en a eu d’autres dans l’hispour toire, qu’il y en aura peut-être d’autres après… J’essaie aussi de faire de cette période un temps de réflexion, alors je me pose beaucoup de questions… sans trouver aucune réponse. Cela dit, j’ai mis le confinement à profit pour lire davantage. Duras, Esther Kahn d’Arthur Symons, une biographie de Truffaut, des nouvelles de Tchekhov… Je prends ce qui me tombe sous la main. Avec une prédilection, quand même, pour tout ce qui a trait à l’amour, « car il n’y a que l’amour qui m’intéresse » – ce n’est pas de moi, ça, c’est une phrase de Catherine Deneuve que j’aime bien reprendre à mon compte. Depuis, j’ai des envies de classiques français: je voudrais relire Balzac et j’ai enfin lu Madame Bovary – si je l’avais lu au lycée, je n’y aurais rien compris.
Depuis que vous êtes mère, est-ce que votre inquiétude pour le monde s’est accentuée ?
J’ai toujours été inquiète. Petite, par exemple, j’étais obsédée par les trous dans la couche d’ozone: cela provoquait en moi des crises d’angoisse, dont les adultes autour de moi se moquaient. Depuis, j’ai développé une culpabilité à l’endroit du plastique – là, comme vous le voyez, je suis en train de boire dans une bouteille jetable qu’on m’a donnée et je m’en veux beaucoup – de la surconsommation, du gaspillage. Alors j’essaie d’apprendre à mon fils la notion de gâchis, ce qui, pour un enfant de 3 ans, n’est pas simple.
Est-ce que vous élevez votre fils dans l’amour du cinéma ou bien est-ce encore trop tôt ?
Je pense que les passions doivent plutôt naître d’elles-mêmes… Et puis, lui et moi, l’instant, on n’a pas trop les mêmes goûts. (Elle rit.) En ce moment, il est à fond sur Les Octonauts, ce qui n’est pas forcément mon truc !
La Léa Seydoux des débuts, comment la regardez-vous ?
Me regarder, je ne sais pas si j’y parviens vraiment… Parfois, quand je revois un film dans lequel je pensais avoir mal joué, je me dis finalement : « Bon, en fait, ça va, pas si mal. » Mais quelle importance? Ce qui m’intéresse véritablement, ce n’est pas tant le regard que j’ai sur moi. Ce qui compte, c’est l’émotion que les gens vont ressentir à travers mes personnages.
Comment l’île de Gorée, au Sénégal, où vit votre mère et où vous avez fréquemment séjourné dans votre enfance, a-t-elle participé à la construction de votre personnalité ?
C’est une grande chance, pour un enfant, de s’apercevoir que le monde ne se résume pas à celui dans lequel il vit. Gorée m’a ouverte à d’autres façons de penser, à d’autres codes, à d’autres mondes.
1. Mourir peut attendre de Cary Joji Fukunaga, avec aussi Daniel Craig, Rami Malek, Lashana Lynch, en salle le 31 mars 2021. 2. The french dispatch de Wes Anderson, avec aussi Benicio del Toro, Timothée Chalamet, Saoirse Ronan, en salle en 2021.
“J’ai toujours été inquiète. Petite, par exemple, j’étais obsédée par les trous dans la couche d’ozone. Cela provoquait en moi des crises d’angoisse, dont les adultes se moquaient.”