Ces jeunes femmes qui ne veulent pas d’enfant
Face aux menaces environnementales qui pèsent sur la planète, elles ont décidé de ne pas avoir d’enfant. Un choix encore mal compris que ces jeunes écoféministes, à l’image de nos témoins, assument avec courage au quotidien dans une société où la figure de la mère reste sacralisée.
avec les LONGTEMPS, DOLORÈS A HÉSITÉ ENTRE S’ENGAGER Femen ou au sein d’un mouvement écologiste, puis elle a découvert l’écoféminisme: «Cela a été une révélation. Je me reconnais dans ce schéma qui relie déconstruction du mythe de la maternité et salut de la planète.» Pour cette Parisienne de 28 ans, commissaire d’exposition, membre d’Extinction Rébellion, mettre un enfant au monde relève de l’égoïsme et représente un « coût monstrueux » en CO2 : 58 tonnes par an et par bébé «Même si on devient vegan, qu’on vend sa voiture et qu’on ne prend plus l’avion, ça ne suffit pas. Avoir envie d’un petit être pour soi, ce n’est ni un don de soi ni un don pour la planète. Il faut inverser le raisonnement!» Combien sont-elles, en France, ces Childfree, SEnVol (Sans enfants volontaires) ou Ginks (Green Inclination, No Kids) qui renoncent à la maternité pour alléger notre planète? Planète qui, selon la projection des Nations Unies, comptera 9,7 milliards d’humains en 2050. Aucune donnée chiffrée, mais une tendance stable: en France, en 2010, 5 % des femmes et des hommes déclaraient un non-désir d’enfant « La fécondité baisse mais très légèrement, analyse Magali Mazuy, chargée de recherche à l’Institut national d’études démographiques (Ined). Notamment entre 25 et 29 ans. Elle est stable au-dessus de 30 ans. Le nombre de femmes sans enfant volontairement va-t-il augmenter? Ce sera intéressant de le vérifier, car la problématique de l’écologie est très anxiogène chez les jeunes générations.»
UN SONDAGE APPORTE POURTANT UN DÉBUT DE RÉPONSE. Lancée en mai, l’enquête participative internationale d’Arte, Il est temps a déjà interrogé 240 000 personnes sur leurs aspirations et leurs craintes pour le futur. Si 4 % estiment impossible de faire des enfants au XXIe siècle, pour 70 % des femmes, tous âges confondus, cela pose un cas de conscience. Sachant que 53 % des 18-25 ans se considèrent féministes, contre seulement 29 % des 45 ans et plus. «Ce n’est pas un essor du refus de la parentalité, explique Yann Le Lann, sociologue, maître de conférences à l’université de Lille. C’est un questionnement dans les milieux écolos, de gauche, et chez les femmes surtout. Elles connectent
parentalité et écologie et vivent l’épreuve de l’égalité femmes-hommes dans le partage du maternage.» Certes, cette «grève de la procréation» à laquelle appelait déjà la pionnière de l’écoféminisme, Françoise d’Eaubonne, en 1974 n’est pas une lame de fond dans la société, mais les angoisses de la jeune génération face à la dégradation de l’environnement sont réelles. Et, hélas, justifiées. Stéphanie, 38 ans, documentaliste dans un lycée, a décrété à 30 ans qu’elle n’aurait pas d’enfant et n’a jamais changé d’avis. «Ma soeur, qui en a trois, me dit: “Tu es mon alibi”, mon mari musicien n’a pas la fibre paternelle et puis, quelles sont les solutions pour nourrir tout le monde sans détruire la planète? Supprimer les vaches pour faire des champs de soja, ce n’est pas mieux. Aujourd’hui, la jeunesse est conscientisée. Ma nièce de 12 ans me parle de déforestation, jamais je ne me posais ces questions à son âge, et je vois bien la colère des lycéen·nes.»
GOUTAL(5), « l’écoféminisme SELON LA PHILOSOPHE JEANNE BURGART n’est pas un concept à la mode, mais un vécu intime et douloureux chez beaucoup de jeunes qui
MARGUERITE VALLÉE, 24 ANS, COORDINATRICE DE CENTRE SOCIAL, VIT À ENGHIEN-LES-BAINS.
«En seconde, un prof nous a demandé de nous imaginer dans dix ans, j’avais écrit: “Enceinte de mon deuxième enfant, en salopette, à repeindre les murs” ! Le déclic écologique est venu plus tard, quand j’ai commencé à m’acheter des vêtements dans des friperies. Aujourd’hui, j’achète en vrac, je consomme local, je diminue la viande… et je me pose la question: est-ce raisonnable d’avoir un enfant? Depuis dix-huit mois, je vis seule, j’ai mon premier emploi, je coche les étapes d’une jeune femme, reste donc la question du mariage et de la maternité. On est déjà assez nombreux sur la planète, le futur me fait très peur. Je fais parfois l’autruche – “Tu réfléchiras plus tard, mais plus tard, c’est demain!” –, j’ai aussi songé à congeler mes ovocytes. J’en parle aux repas de famille, ma mère, pour la première fois me dit : “Je comprends tes craintes et tes inquiétudes”, et ça me fait flipper. Mon compagnon n’a pas envie d’être père pour le moment ni d’adopter plus tard, contrairement à moi, qui ne suis pas obnubilée par les liens du sang. Le refus de la maternité reste tabou, mais certaines de mes amies sont plus radicales que moi.»
connaissent l’éco-anxiété ou le désespoir environnemental. » Comment être sûres de sa décision et en discuter avec ses proches, ce choix de vie n’étant pas toujours bien perçu ni compris? «L’argument écolo n’est pas celui que je sors en premier, raconte Mathilde, 32 ans. Il y a tellement de climatosceptiques, et les plus de 45 ans ne se sentent pas concerné·es. Quant à mes collègues à l’usine où je travaille comme maroquinière, elles ne me comprennent pas, d’autant que je suis mariée et que j’ai été nourrice pendant dix ans. J’ai un excellent contact avec les bébés, mais j’ai vu la pression qui pèse sur les mères et le réchauffement climatique me terrorise, alors…»
EN FRANCE, OÙ L’ON S’ENORGUEILLIT D’AVOIR LE TAUX DE
le plus élevé en Europe (1,88 enfant par femme NATALITÉ en moyenne), le refus d’être mère a longtemps été tabou. Corinne Maier le sait, elle dont le livre No Kid, quarante raisons de ne pas avoir d’enfant a été un best-seller en 2007. «À l’époque, la maternité était peu questionnée. Je suis étonnée par la rapidité avec laquelle l’opinion a changé, même si ça reste dans la marge. Dire que c’est par écologie est plus facile, car cela retourne l’argument de l’égoïsme, alors qu’on se doute que ce refus concerne aussi d’autres injonctions faites aux femmes. La parole s’est libérée, des jeunes filles se posent ouvertement la question, elles n’ont plus ce poids de la norme mais des inquiétudes pour notre futur, que je partage…» Jeanne Burgart Goutal, notre spécialiste de l’écoféminisme, rappelle qu’une des revendications fortes de ce mouvement est de dire que les hommes doivent être autant impliqués que les femmes dans l’enfantement et la maternité. «Si je fais des enfants, cela signifie que je vote en faveur de la perpétuation de l’espèce humaine, sinon je vote pour qu’elle s’arrête, il y a un enjeu universel, ce choix engage toute l’humanité », conclut la philosophe.
1.
LORRIE GOURDIN, 23 ANS, ÉTUDIANTE EN COMMUNICATION, VIT À LILLE.
«Je suis écoféministe. J’ai grandi dans le bocage normand, avec un père passionné de jardinage, j’ai toujours mangé bio et local, et été intéressée par les questions environnementales. Ma génération devra se construire en tant que citoyen·nes qui prennent en compte les enjeux climatiques et écologiques. Si ma grande soeur, ma jumelle et moi ne désirons pas d’enfant, j’ai du mal à l’avouer à mes amies de peur de paraître trop extrême. C’est un sujet encore clivant. J’ai soutenu la PMA pour toutes, je ne serais pas contre l’idée de faire don de mes ovocytes, je n’empêche pas les autres de devenir parent. C’est une question intime, mais qui peut être également collective. Féminisme et écologie, ces deux combats sont liés: j’ai réalisé une série de podcasts* avec vingt jeunes femmes de ma génération, or la maternité n’est pas au centre de nos préoccupations… du moins dans notre milieu social. L’été, je travaille dans une usine avec des ouvrières qui, à mon âge, sont déjà mères. Pour certaines, un enfant permet d’exister. Mon copain n’en veut pas pour les mêmes raisons, mais on diffère sur les arguments. Lui serait prêt à adopter, moi, je ne suis pas sûre de vouloir être responsable d’un petit être dans ce monde qui se détériore de jour en jour.»
(*) À écouter sur soundcloud.com/mesvingtaines
LÉA NEGRETTO, 25 ANS, CONSULTANTE EN BEAUTÉ JAPONAISE, VIT À PARIS.
«J’ai grandi à Toulouse au sein d’une famille recomposée de sept enfants. Quand j’ai pris conscience de l’impact de mes habitudes de vie, transmises par mon éducation, je suis devenue végétarienne, j’ai abandonné la voiture et l’avion. Mon mari est taïwanais, j’ai trouvé un voyage en train, onze jours pour rejoindre Taipei, mais je n’ai que cinq semaines de vacances, et si on passe par la Russie, on utilise du charbon, c’est pas non plus une solution. Il faut manger et voyager près de chez soi. À 12 ans, je voulais des enfants, mais plus je vieillis, plus je suis sûre de ne pas en désirer. Mon conjoint me dit: “Notre bébé
eurasien serait beau”, ça relève du caprice. Biologiquement, enfanter, c’est faire perdurer une espèce, or notre planète est surpeuplée et on court à la catastrophe écologique, ça me fait très peur. Si chacune d’entre nous fait un enfant, c’est exponentiel, certaines doivent se sacrifier et trouver du plaisir ailleurs. Je suis heureuse, je ne suis pas frustrée, moins on a de désirs, moins on ressent de manque. Refuser la maternité est le découlement logique de ce processus.»
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