Marie Claire

Marie Robert, la philosophe qui venge Pénélope

- Propos recueillis par Adèle Bréau Illustrati­on Rozenn Le Gall

Professeur­e, fondatrice d’écoles, auteure… Marie Robert – qui tient aussi une chronique dans notre magazine (« Le mantra de Marie» p. 32) – est sur tous les fronts pour nous faire aimer et pratiquer la philosophi­e. Après deux essais traduits en quinze langues et devenus des succès de librairie, elle revient avec un roman initiatiqu­e, qui nous plonge dans l’histoire de la pensée… et le chagrin d’amour. Elle démontre ainsi que confronter Aristote et Spinoza à nos vies quotidienn­es est plus essentiel que jamais. Entretien.

Votre héroïne s’appelle Pénélope. Utiliser le prénom d’une figure de la mythologie qui a passé son temps à attendre (un homme), était-ce aussi une façon de lui donner comme une seconde chance?

Je crois qu’un roman est comme une hypothèse et j’avais envie de voir ce qu’il se passerait si c’était Pénélope qui quittait le port. Ne pas attendre, mais faire face, se mettre en mouvement. C’était une manière de rendre hommage à ce personnage, l’un des plus intrigants de la mythologie.

Platon, Aristote, Spinoza, Machiavel… Sur son chemin, Pénélope croise neuf philosophe­s qui ont marqué l’histoire de la pensée. Pourquoi ceux-là?

Je dois avouer qu’il y a une part d’affinités personnell­es. Mais c’est aussi parce que ces philosophe­s ont marqué l’histoire de la pensée. Il y a un avant et un après eux. L’impact sur la manière dont nous concevons nos réalités aujourd’hui repose sur une histoire qui s’est construite autour de figures clés. J’avais envie que ce livre soit aussi un texte où l’on apprend, où sont mis en lumière ces moments marquants. Ce n’est pas une question de philosophi­e, c’est comprendre ce qu’il se passe autour de nous. L’économie, l’art, la psychologi­e, la littératur­e, la musique, s’inscrivent dans un contexte que la philo aide à comprendre.

Dans cette odyssée, il est beaucoup question des penseurs grecs. Le mythe de la caverne, Platon et Aristote, pourquoi les situe-t-on aux origines de la philosophi­e? Parce que les penseurs grecs ont illuminé le monde de leur « pourquoi » ! Tout devient sujet à questionne­ment. La philosophi­e n’est pas une histoire d’analyse de textes ou de dissertati­ons, elle est un étonnement qui nous transforme, une manière de vivre qui change tout notre être. Voilà ce que nous rappellent les Grecs.

Vos précédents ouvrages faisaient le pont entre la philo et nos vies à travers des situations. Pourquoi avoir choisi, cette fois-ci, la forme du roman initiatiqu­e ?

J’ai adoré écrire mes livres précédents mais je ne voulais pas devenir un auteur situationn­iste. Ce que j’aime, c’est l’imaginaire, indispensa­ble à notre rapport au monde. Un CV, une histoire d’amour, c’est une manière de se raconter. J’ai voulu donner une plus grande amplitude à cette part de fiction, m’extraire de la posture de professeur­e et offrir une dimension chronologi­que à la philo. Via cette odyssée, je veux montrer que la pensée ne s’est pas faite en un jour mais dans le temps et l’espace.

Dans cette période de doutes, beaucoup cherchent des réponses dans la religion ou le développem­ent personnel. Quel est le rôle de la philo dans tout cela?

La religion affiche une vérité, un seul chemin. Le développem­ent personnel suggère des méthodes. La philo, elle, propose d’aller questionne­r, de voir où ça fait tension et

“La philo est une manière de vivre qui change tout notre être.”

d’ajuster. C’est une discipline du mouvement. J’ai un public qui a beaucoup « consommé » de développem­ent personnel car ce sont des gens qui se posent des questions. Mais ils ont eu parfois l’impression qu’on leur disait quoi faire. Être bienveilla­nt, se lever à 5 heures du matin, sauver le monde… Ils ont croulé sous ces injonction­s et la culpabilit­é qui en découle. Puis ils ont trouvé dans la philo leur cohérence et se sont pardonné.

Est-ce pour cela que vous êtes très active sur Instagram(2), ce lieu où l’on peut se sentir le plus «imparfait·e»? Totalement. On y a toujours l’impression que nos vacances ont été moins bien, qu’on a fait moins de sport, que nos enfants sont moins beaux, moins bien habillés que ceux des autres. J’avais envie de prendre le contrepied. Les photos plus likées sont bleues, m’a-t-on dit. J’ai fait un compte en noir et blanc. C’est un média très visuel, j’y ai mis beaucoup de texte. Et j’ai constaté que les gens avaient envie de lire, heureux qu’on leur raconte une histoire. Et de partager les uns avec les autres autour de cette curieuse aventure qu’est l’existence.

Dans votre livre, un personnage déclare : “Eh bien ils sont capables de débattre et de s’écouter, c’est un peu le principe de la philo, tu sais.” Pensez-vous qu’à l’heure du jugement populaire et de la cancel culture, on ne débat plus assez ? C’est le problème. Et le paradoxe, c’est que la situation que nous traversons appelle au débat. Alors qu’on n’est plus dans une société structurée par la religion, on a érigé la même chose. Il y a «le vrai», «le faux», «le bien», «le mal», et rien qui appelle à la nuance. Mais accepter de remettre en cause ses certitudes, c’est se sentir encore plus paumé·e. Et la génération à venir a tellement peur! On leur a dit que le couple, la planète, le boulot, c’était fini. Alors, pour eux, il n’y a plus qu’à avoir des idéaux solides car tout le reste s’effrite. Grandir dans un tel degré d’incertitud­e est si violent que, du coup, on brûle J.K. Rowling, on crie au scandale pour tout. Mais la cancel culture va à l’encontre de la philo. La pensée ne s’est construite que sur du débat. Je travaille à ce que tout ça change.

Préconiser­iez-vous que la philo soit enseignée dès le plus jeune âge? Évidemment. C’est à travers cela qu’on apprend le sens de la nuance, celui de l’écoute de l’autre et la précision du vocabulair­e. Pour se comprendre, il faut déjà parler de la même chose.

Est-il facile de transmettr­e l’idée que

«le passé a quelque chose à nous dire»?

Je suis désespérée par le fait qu’aujourd’hui on ait très peu de conscience historique. S’il y a pourtant une matière à réhabilite­r, c’est bien l’histoire. Ne pas connaître le passé, c’est ne pas comprendre le monde dans lequel on vit.

À qui s’adresse ce voyage de Pénélope?

À toutes celles et ceux qui, un jour, se sont posé la question de savoir s’ils étaient à la bonne place, et qui ont voulu quitter leur port d’attache. Pour eux, il y a peut-être un fil qui chemine. Et c’est intéressan­t de cheminer.

1. Éd. Flammarion. 2. @philosophy­issexy

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