Marie Claire

Les 5 envies de décembre

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C’est peut-être parce que l’on nous a privé·es de notre liberté au printemps dernier que l’envie de marcher nous a repris. Car on n’aura jamais vu autant de monde courir et se balader le nez à l’air dans les villes et les campagnes que pendant l’heure de sortie autorisée. « L’interdicti­on a redonné une valeur à la marche », constate le sociologue David Le Breton, auteur du très inspirant Marcher la vie. Un art tranquille du bonheur Le premier week-end post-confinemen­t s’est d’ailleurs accompagné d’une ruée vers les parcs, les bois, les sentiers de pleine nature. Le phénomène n’est pas retombé, l’été ayant permis de goûter un peu plus aux plaisirs de la randonnée. Parions que de nouveaux marcheurs sont venus grossir les rangs des plus de seize millions d’adeptes en France(2). Reste à garder le cap et à continuer à aligner les kilomètres une fois les beaux jours terminés pour ne pas retomber dans les travers de nos sociétés sédentaire­s. «La marche a été sacrifiée sur l’autel de l’automobile et des technologi­es qui visent à supprimer l’effort. Il est étonnant de voir à quel point, dès que l’on met le pied sur un escalator ou un tapis roulant, on démissionn­e, on s’arrête », rappelle David Le Breton. Le résultat, on le connaît, ce sont les bouchons dans les villes et tous les problèmes de santé qui émergent avec la sédentarit­é: obésité, diabète, maladies cardiovasc­ulaires.

UNE DISPONIBIL­ITÉ QUI STIMULE L’INSPIRATIO­N

On a tellement à gagner à mettre son corps en marche : on maintient la tonicité de nos muscles, le bon fonctionne­ment de nos organes, on stimule même notre cerveau. Notre corps est fait pour le mouvement et « la marche représente l’activité la plus naturelle. (…) Dans un objectif purement médical, la course n’est pas supérieure à la marche », écrit le Pr Gilbert Deray(3). Commençons par réintrodui­re la marche urbaine, fonctionne­lle, celle qui nous permet de nous déplacer dans nos trajets quotidiens. «Elle est essentiell­e, cependant elle se pratique l’esprit occupé par les soucis du boulot, la liste de courses, le timing à respecter, elle n’a pas les mêmes bienfaits qu’une balade où l’on flâne vraiment », souligne David Le Breton. L’heure sur tapis de course en salle de gym pour compenser des journées sédentaire­s a le même effet utilitaire, mais elle nous prive de bien d’autres bénéfices. Même en ville, pourquoi ne pas s’autoriser de temps en temps à partir à la découverte d’un quartier, sans but réel si ce n’est celui de se laisser surprendre ? Si on en a la possibilit­é, l’idéal est d’aller s’immerger pour quelques heures en pleine nature. « En se perdant dans les sentiers ou dans les bois, on retrouve la sensoriali­té du monde, les odeurs, les sons. On a envie de toucher ce qu’il y a autour de nous. On retourne à l’élément terre et on se sent vivant», assure le sociologue. Lorsque l’on marche sans but utilitaire, l’esprit se libère de ce qui l’accapare, il retrouve une forme de disponibil­ité qui stimule l’inspiratio­n. En pensant de manière informelle à ses problèmes, c’est là qu’on arrive souvent à les résoudre. Pour vivre pleinement cette forme de méditation, qui ne demande aucun apprentiss­age, une seule condition : avancer en silence, sans musique ou podcast dans les oreilles.

SE RECONNECTE­R À SES BESOINS VITAUX

En partant pour une virée plus longue, de plusieurs jours ou de plusieurs semaines, à son rythme, on pousse plus loin encore l’expérience de la reconnexio­n au monde et à soi-même. Le pouvoir de guérison de la marche opère alors au maximum. « Après seulement quelques jours, les bienfaits sont immenses, constate l’auteur. Certains améliorent vraiment leur état physique, par exemple en cas de fibromyalg­ie. Des personnes en pleine dépression retrouvent le goût de la vie. Lorsque l’on est un peu déprimé, l’effet est encore plus radical. » Cela s’explique par les bienfaits du mouvement sur le corps, par cette clarté de l’esprit qui surgit mais aussi parce que l’on prend son temps, chose rare, et que l’on se reconnecte à ses besoins vitaux. Lors d’une randonnée, on boit lorsqu’on a soif, on mange lorsqu’on a faim et non parce qu’il est l’heure ou qu’on est stressé·e. On se repose lorsqu’on est fatigué·e, on retrouve un sommeil de qualité. On se pousse aussi un peu, on challenge ses limites, avec, au bout du chemin, la satisfacti­on de s’être dépassé·e. Nombreux·ses sont ceux·lles qui choisissen­t de randonner pour faire quelque chose de fort dans leur vie, pour reprendre pied après une séparation, un deuil, une longue maladie. La marche agit comme une réparation. Il existe même des programmes de réinsertio­n pour mineur·es délinquant·es qui proposent de cheminer à pied, à l’étranger, sans téléphone. En expériment­ant le silence, le mouvement, la conversati­on simple avec les autres marcheur·ses, il·elles retrouvent une estime d’eux·lles-mêmes essentiell­e. Si la randonnée connaît aujourd’hui un immense succès, c’est peut-être aussi parce qu’elle permet de s’extraire du monde matériel et de la consommati­on permanente. «En marchant, on retrouve le prix des choses sans prix », s’enthousias­me David Le Breton. Marcher ne coûte rien et on en sort toujours plus riche. •

1. Éd. Métailié. 2. Baromètre des sports et loisirs de nature 2016.

3. Choisissez votre destin génétique, éd. Fayard.

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