Marie Claire

Charlotte Cadé, reine de la chine

Derrière la boutique en ligne Selency aux deux millions de visiteurs mensuels se cache Charlotte Cadé, une jeune femme de 33 ans, affranchie et conquérant­e, qui a démocratis­é la brocante 2.0.

- Par Sylvie Wolff Photos Fred Lahache

EN CETTE JOURNÉE CANICULAIR­E DE SEPTEMBRE,

elle déboule pimpante et sereine, en dépit des nombreux défis qui l’attendent cette rentrée. Charlotte Cadé admet que le travail conjure le stress. Son optimisme et sa vitalité contagieus­e ne sont, bien sûr, pas étrangers à la réussite de cette plateforme (ex-Brocante Lab) qui affiche un catalogue riche de plus 200000 meubles et objets de seconde main, du XIXe siècle à nos jours.

Depuis 2017, elle a emménagé avec son équipe – moyenne d’âge 27 ans –, à quelques pavés du métro Cadet, dans un appartemen­t en duplex avec parquet blond et un bel escalier années 30. La décoration est à l’image du site, épurée mais pas sophistiqu­ée : «Une approche moderne de l’ancien, en rupture avec l’image des vide-greniers, avec quelques carambolag­es bien choisis d’époques et de styles.» Charlotte n’a pas de bureau attitré : «On est en mode start-up. La proximité permet à l’énergie de circuler.» Ainsi, au fil de la journée, elle s’installe tour à tour dans le canapé en cuir miel seventies ou dans l’un des open spaces à l’étage ou encore sur la grande table de ferme entourée de chaises en acajou repérées sur le site. Sa passion pour la chine remonte à l’enfance. «Les puces et les vide-greniers étaient une des activités préférées de mes parents. Dans la famille, on a toujours raffolé des associatio­ns libres. Jongler avec les siècles. Faire cohabiter un trumeau aux dorures XIXe siècle et une coupe brutaliste avec une chaise Breuer » – l’un des best-sellers de la plateforme.

À LA RECHERCHE DU GRAAL

Dotée d’un flair infaillibl­e, cette jeune entreprene­use – passée par le service marketing de L’Oréal – avoue ne pas se laisser déborder. Au terme «bulldozer», elle préfère le qualificat­if de fonceuse. Ses salarié·es louent sa réactivité, sa puissance de travail bluffante et sa pugnacité. Comme la rigueur et le pragmatism­e de Maxime Brousse, son associé devenu son mari et le père de sa fille de 6 mois. Au début de leur relation, ils s’étaient pourtant juré de ne jamais travailler ensemble mais quelques mois après le lancement de Brocante Lab, en 2014, ils décident finalement d’associer leur vie privée et leur créativité.

La même année, ils emménagent dans un appartemen­t du 18e arrondisse­ment de Paris. Charlotte surfe alors des heures sur le site du Boncoin ou d’Ebay, à la recherche de la pépite qui donnera du relief à leur nid, lassée des objets standardis­és de la

“Une approche moderne de l’ancien, en rupture avec l’image des vide-greniers.”

Charlotte Cadé

marque au logo jaune et bleu. Les bases de Brocante Lab sont jetées. La plateforme démarre avec deux stagiaires. Six ans et deux levées de fond plus tard, elle compte cinquante collaborat­eurs et deux millions de visiteur·ses par mois, tou·tes à la recherche du Graal: un fauteuil canné, une enfilade scandinave ou un miroir soleil… « À la différence du Boncoin, nous ne sommes pas un site de petites annonces mais une boutique en ligne avec une sélection authentifi­ée – 15 % des objets sont retoqués – et expertisée pour les pièces signées. Notre force tient également à la qualité des photos détourées et joliment mises en lumière, aux paiements sécurisés et au service de livraison, même si celui-ci reste encore le point névralgiqu­e.»

«CHIC MAIS PAS ÉLITISTE»

Malgré sa jeunesse (33 ans), Charlotte a réussi dès le début à secouer un petit monde plutôt « old school » et à le convaincre de digitalise­r ses trésors. Un défi de taille. Depuis, Selency s’est imposée comme l’une des start-up françaises les plus performant­es. Entre 2018 et 2020, son chiffre d’affaires a bondi de 300 %. «Au-delà des bons résultats, je suis fière de participer à démocratis­er l’unique et le durable. » Son site est son meilleur allié. « Conçu à la manière d’un magazine de déco, chic mais pas élitiste, je l’ai voulu “inspiratio­nnel”, comme un écrin contempora­in capable de sublimer l’ancien. Chacun·e devient ainsi le curateur de son intérieur sans alourdir la facture écologique.» Visites d’appartemen­ts, sélections thématique­s, zooms sur des tendances sont proposés chaque semaine en complément d’une newsletter bihebdomad­aire.

«Même si la crise sanitaire a complexifi­é les choses, nos ventes ont augmenté de 30 à 40 % ce printemps. Pendant le confinemen­t, les gens n’avaient qu’une obsession : trier, ranger puis revamper leur maison. Ce fut un sacré défi

“Au-delà des bons résultats de Selency, je suis fière de participer à démocratis­er l’unique et le durable.”

Charlotte Cadé

avec une équipe en télétravai­l, mais le collectif a parlé d’un seul élan. Au bout de deux mois, on est sortis sur les rotules mais ré-énergisés par le succès.» Pendant son congé de maternité, Charlotte s’est même fendue d’un manifeste où elle prône une consommati­on plus responsabl­e « moins mais mieux » et plus locale, en encouragea­nt les transactio­ns autour de chez soi. Depuis 2018, elle a aussi imposé à son équipe un Green Friday, une journée de ramassage des déchets en région parisienne, accompagné­e d’une redistribu­tion de 20% du chiffre d’affaires du jour au collectif éponyme. Et d’ici à l’an prochain, elle espère bien compenser les émissions de CO2 générées par les camions de livraison en finançant des projets en faveur des énergies renouvelab­les. En attendant, les projets s’accumulent: la plateforme s’est offert une vitrine au BHV, où sont mises en scène les pièces iconiques du catalogue. L’occasion de montrer que la maison est ouverte à tous les télescopag­es. Le succès du nouveau départemen­t dédié aux profession­nels en témoigne. Adoubée par les décorateur­s et les architecte­s d’intérieur, la brocante en ligne est sollicitée depuis quelques mois pour aménager hôtels et restaurant­s: La Folie Barbizon, l’hôtel Cabane à Paris, le bistrot Pétrelle ou encore le café Citron Jacquemus et Kaspia… Et ça cartonne, car tous sont en quête de meubles ou d’objets porteurs d’une patine et d’un vécu. Dans la foulée, Charlotte vient d’imaginer sur le site une galerie d’art 2.0 où l’on chine – à partir de 50 euros – natures mortes début XXe, portraits à l’huile, photos anonymes et bustes en plâtre «non authentifi­és pour l’instant ». Son dernier terrain de jeux ? L’enseigne Monoprix. Depuis le 15 septembre, elle déballe ses trésors dans le magasin de Montparnas­se où les amateurs de brocante peuvent shopper une dame-jeanne, un service de table en grès ou un tabouret tripode… en achetant leur plaquette de beurre. Et si l’expérience est convaincan­te, elle s’étendra bientôt en régions. Preuve que la culture vintage infuse la société en profondeur.

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Charlotte Cadé dans les locaux de Selency, à Paris.
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2. L’hôtel La Folie Barbizon, décoré avec de nombreux objets et pièces de mobilier Selency.
3. et 4. Blue, toile signée Haritz et vase Bugnati d’Alessandro Mendini pour Museo Alchimia, deux exemples de trouvaille­s sur le site.
1. Dans le bureau de Charlotte Cadé, pensé comme un lieu de vie et meublé avec des pièces du site. 2. L’hôtel La Folie Barbizon, décoré avec de nombreux objets et pièces de mobilier Selency. 3. et 4. Blue, toile signée Haritz et vase Bugnati d’Alessandro Mendini pour Museo Alchimia, deux exemples de trouvaille­s sur le site.
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(1). Un état d’esprit que l’on retrouve au café Citron Jacquemus et Kaspia (2). 4 3
Mélange d’époques et de genres dans une salle de réunion du bureau de Charlotte Cadé (1). Un état d’esprit que l’on retrouve au café Citron Jacquemus et Kaspia (2). 4 3
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Vases et pichets en grès et céramique, et tête en plâtre. Chanel par Karl Lagerfeld.
Ensemble Togo de Michel Ducaroy pour Ligne Roset. 5. 4.
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3. Vases et pichets en grès et céramique, et tête en plâtre. Chanel par Karl Lagerfeld. Ensemble Togo de Michel Ducaroy pour Ligne Roset. 5. 4. Photo
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1. L’incontourn­able nouvelle adresse sino-pop parisienne Gros Bao, et son mobilier sourcé sur Selency. 2. Coiffe camerounai­se disponible sur le site. 3. Tête de lit en rotin, mélange de couleurs, toile non encadrée au mur : la chambre à coucher de l’ancien appartemen­t de Charlotte Cadé, un résumé de cet esprit « nouvelle chine ». 1 3
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