Marie Claire

Marie Ndiaye, dans la tête d’un monstre de contrôle

- Par Gilles Chenaille

Lauréate du prix Goncourt en 2009, l’auteure revient avec un court livre brutal et provocateu­r(1). Monologue intérieur d’une professeur­e prête à tout pour ne pas mettre en danger la vie qu’elle s’est construite. Un récit qui secoue, porté au théâtre par la voix de Nicole Garcia(2). Interview.

Elle est professeur­e de français à Royan, où elle s’est installée après avoir quitté Marseille et une vie conjugale qui l’étouffait – sans jamais plus revoir les siens. Belle et très soignée, tout entière dans le contrôle de son apparence qui lui permet de museler sa culpabilit­é et sa sauvagerie naturelle, elle s’est construit un personnage pour le confort de sa nouvelle vie. Mais le suicide d’une élève, dont elle a ignoré la détresse, feignant plus ou moins de ne pas l’avoir sentie, la plonge dans une rage homérique contre cette jeune fille qui, au fond, lui ressemblai­t… Et contre les parents de celle-ci qui, eux non plus, n’ont pas été à la hauteur, et qui l’attendent sur son palier pour lui demander des comptes. Qu’a fait l’élève de sa peine, qu’a fait la prof de la sienne, que faisons-nous de nos blessures ?

D’où vous est venu ce monologue déconcerta­nt ?

Je ne voulais pas traiter une question sociétale (harcèlemen­t entre élèves au lycée, sur les réseaux sociaux, suicide des ados), ni dénoncer quoi que ce soit. Je n’ai fait ni documentat­ion ni enquête. J’ai juste imaginé une prof en me demandant quel évènement pouvait la plonger dans une grande difficulté. Ce dont parle ce texte, c’est de sa responsabi­lité.

Et d’où vient sa rage, si surprenant­e dans ces circonstan­ces ?

Elle est en colère contre l’idée qu’on puisse la tenir pour responsabl­e. Mais cette colère n’est pas forcément sincère… En colère aussi contre ce drame qui menace la « bonne vie » qu’elle s’est construite. En colère, car elle ne veut pas remettre en question son statut de femme libre – liberté acquise au prix de la cruauté, puisqu’elle a abandonné son enfant.

Que penser de sa hargne contre les parents qui lui demandent des comptes ?

Elle refuse de les rencontrer : elle sait qu’ils aimaient leur fille, mais ils l’exaspèrent. Car elle sait aussi qu’elle ne pourra pas répondre à leur attente, et qu’ils veulent se décharger de leur part de responsabi­lité sur elle.

Elle semble explosive, presque folle…

Oui, enfin… Comme beaucoup de gens le sont, plutôt dingue, cinglée. Mais dans sa dinguerie, il y a une ligne : sa grande volonté de garder sa vie sous contrôle.

Y a-t-il quelque chose de vous dans cette sauvagerie et cette colère ?

Moi, je suis le contraire. Je suis liée, attachée à mon mari et à mes enfants. Et je ne suis pas dans l’affronteme­nt. Plutôt dans l’évitement, dans la fuite quand quelque chose ou quelqu’un me déplaît. Je déteste le conflit et la dispute. Je les déteste à l’excès, d’ailleurs…

1. Éd. Gallimard, 9,50 €. 2. Royan, mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia, jusqu’au 21 novembre à l’Espace Cardin, Paris 8e (theatredel­aville-paris. com), puis en tournée en France.

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