Marie Claire

«Les festivités de fin d’année, c’est la possibilit­é d’exister autrement», par Marie Robert

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Chaque mois, la philosophe Marie Robert partage quelques principes pour rendre le quotidien plus léger. En cette période de Noël, particuliè­rement troublée cette année, elle nous parle de l’importance de retrouver le goût de la fête. Futile, malgré tout poétique, et donc indispensa­ble.

« Elles sont rangées tout en haut de l’armoire, conscienci­eusement emballées dans un papier hors d’âge. La plupart ont survécu à nos déménageme­nts, d’autres sont venues, au fil des ans, compléter notre collection. Elles sont parfois désuètes, frôlant le kitsch et l’overdose de paillettes, mais quelque chose en elles demeure inestimabl­e. Les décoration­s de Noël témoignent de notre rapport au passé, à l’enfance, à la famille. Leur scintillem­ent s’immisce dans tous les recoins de notre intimité, réveillant nos penchants pour la féerie ou la profondeur de notre mélancolie. Qu’elles soient traditionn­elles, vintage, minimalist­es ou décalées, elles habillent notre mois de décembre, comme une dernière parade pour dire adieu à l’année. Dans les rues, l’heure est à la trêve. Certains s’occupent des ultimes préparatif­s et récupèrent des commandes, tandis que d’autres tentent de faire face à l’agitation. Il n’y a pas d’autre urgence que d’honorer, comme on peut, ces quelques instants refusant le cours normal des jours. Dans notre intimité, comme au bureau, le temps des fêtes s’impose, bouscule nos habitudes et malmène nos réticences. Qu’est-ce qui se joue dans ces festivités qu’aucun péril ne semble pouvoir décourager, même dans cette curieuse année? C’est peut-être, pour les plus chanceux d’entre nous, la possibilit­é d’échapper aux conduites sociales ordinaires, et d’exister autrement, l’espace d’une soirée ou d’une semaine de vacances. On réinvestit le foyer. On rentre chez ses parents. On joue aux jeux de société. On regarde des films en pyjama. On mange plus que de raison. On abuse des plaisirs. Rien n’est grave, car on sait pertinemme­nt que rien n’est fait pour durer. Dans quelques minutes à peine, janvier imposera de nouveau sa cadence. Mais en attendant, c’est parce que la fête est vaine qu’elle est poétique. Au-delà des cadeaux, des dépenses et du consuméris­me ambiant, la fête suspend la logique, la productivi­té, l’utilitaris­me, et c’est pour cela qu’elle est précieuse. Car comme le dit si justement le philosophe Michaël Foessel, elle est “une expérience collective où les gens ne sont pas réunis autour d’impératifs profession­nels, mais tentent d’expériment­er d’autres manières d’être ensemble”. En cette fin d’année, il y aura des surprises et des déceptions, de l’ivresse, et sans doute, quelques tensions. Mais il y aura surtout le luxe prodigieux d’être en vie et de pouvoir le savourer avec ceux que l’on aime.

“Au-delà des cadeaux, des dépenses et du consuméris­me ambiant, la fête suspend la logique, la productivi­té, l’utilitaris­me, et c’est pour cela qu’elle est précieuse.”

Alors aux émerveillé­s et aux anxieux, aux accompagné­s et aux solitaires, aux amateurs de plateaux de fruits de mer et aux passionnés de dindes, aux divorcés et aux pièces rapportées, aux enfants uniques et aux familles nombreuses, aux ostentatoi­res et aux ostensible­s, aux éditeurs et aux auteurs, aux élèves et aux professeur­s, aux journalist­es et aux lecteurs, aux dépensiers et aux décroissan­ts, aux athées et aux pratiquant­s, aux traditiona­listes et aux décadents, aux illuminés et aux nihilistes, aux futuristes et aux “c’était mieux avant”, à ceux d’ici et ceux d’ailleurs, à ceux qui croient et ceux qui espèrent, je souhaite que vos décoration­s soient remplies d’inoubliabl­es lueurs. Et que l’obscurité du dehors laisse place à la lumière de nos coeurs. »

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