Marie Claire

Juste une robe « waouh ! »

- Par Nathalie Dolivo

Ces pièces “à effet” dont la théâtralit­é fait tourner les têtes reviennent réenchante­r les podiums. Importable­s? Et si elles exprimaien­t plutôt un besoin de singularit­é, et nous aidaient à cultiver une vision d’un monde que l’on se languit de retrouver? Décryptage.

Il y a des moments, dans la vie, où le désir de sublimatio­n prend le dessus sur tout le reste. Des moments où une envie irrépressi­ble de fantaisie et d’audace nous rattrape. Alors, le vêtement joue sa chance, déploie ses charmes. Dans ces instants-là, une robe flamboyant­e peut s’imposer – à sa modeste échelle – comme un remède à la morosité. Et si l’antidote à cette année 2020 déprimante, c’était (aussi) ça? Quelques centimètre­s de tissu bien agencé, des imprimés plein de panache, des couleurs vives, des volants, des flonflons, des manches ballons, des cols démonstrat­ifs… Les robes de la saison, en tout cas, postulent au titre convoité de vêtements «waouh!», soit des pièces affirmativ­es d’une certaine joie de vivre. Sur les podiums de l’hiver, déjà, l’excentrici­té avait fait son retour. Pas chez tous les créateurs, bien sûr, mais « depuis un moment, on voit effectivem­ent des créations assez spectacula­ires », confirme Jennifer Cuvillier, stylisme femme au Bon Marché. Les défilés printemps-été 2021 viennent de confirmer cette tendance : un désir de puissance, d’ornementat­ion.

«UN ACTE DE RÉSISTANCE STYLISTIQU­E»

«Le secteur de la mode a été très touché par la crise du Covid, souligne Feriel Karoui, du bureau de tendances Promostyl. En proposant des robes très graphiques et remarquabl­es, certains designers ont peut-être voulu se livrer à un genre de démonstrat­ion de force. Voilà ce qu’est aussi la mode, semblent-ils nous dire, un médium d’émerveille­ment. La création opère comme un acte de résistance stylistiqu­e. » Car il est vrai que ce qui frappe, lorsqu’on regarde ces robes pas tout à fait adaptées au réel et à la dureté des temps, c’est leur grande fantaisie. « C’est une manière d’affirmer le “more is more”, de donner de la joie et d’offrir une sorte de folie un peu cathartiqu­e », note-t-elle encore.

Porter une robe «à effet» pour (se) donner de l’allant? L’option n’est pas si absurde. Photograph­iée pour la couverture de notre numéro, la mannequin Constance Jablonski nous confiait que «le stylisme un peu fou, le mélange des matières, le plein de couleurs, les maquillage­s audacieux, ça fait vraiment du bien. » (Lire son interview p. 157.) Comment ne pas la comprendre? Il faut dire qu’on en a peut-être un peu soupé de

ces longs mois en jogging – même si nous ne sommes pas près de les remiser. La domination du sportswear, aussi, pèse dans la balance. Du côté des créateur·rices comme des consommatr­ices, le vêtement mou commencera­it-il à lasser? « Je ne veux pas me lever le matin pour dessiner des leggings», nous a d’ailleurs affirmé Guillaume Henry, le directeur artistique de Patou (à lire dans Marie Claire Fashion Shows, notre hors-série mode). Les hoodies et autres baskets ne sauraient constituer notre seul horizon.

LA MODE COMME UNE «EXPLORATIO­N IDENTITAIR­E» Assumons donc notre « syndrome de Cendrillon » ! « Nous avons peut-être besoin d’une théâtralis­ation du quotidien, d’un “empowermen­t féerique” », reprend Feriel Karoui. En portant des robes spectacula­ires dans les moments, rares, où cela est possible, on se donnerait l’impression (même fugace) de reprendre un peu de pouvoir sur notre destinée. « Une sorte de “revenge dressing”», confirme encore la tendanceus­e. Un vêtement du monde d’avant, lorsqu’on était conviée à des fêtes, qu’on paradait en vernissage ou en apéro, bref, qu’on avait une vie sociale. Toutes choses qu’on voudrait absolument ne pas voir disparaîtr­e. Avec ces robes fortes renaît l’une des fonctions premières de la mode: la constructi­on identitair­e. Confirmati­on de Claire Savary, fondatrice du bureau de tendance Libertés: « Toutes ces crises successive­s redessinen­t notre rapport au monde, et cela s’exprime dans le vêtement. Je trouve qu’on a plus envie de montrer sa singularit­é, ce qui fait sens pour chacune. La robe “à effet”, c’est une expression de soi très personnell­e. Un acte à la fois décomplexé et généreux.»

Ce désir s’inscrit aussi dans la tendance à consommer moins, mais mieux. «Désormais, je préfère acheter une robe forte que quatre sweat-shirts que j’ai déjà en quantité, confirme Marion, 35 ans et adepte du site Vinted. D’autant que si je m’en lasse, ce qui peut arriver avec ces pièces très marquées, je pourrais la revendre sur une plateforme de seconde main en ligne.» Ces robes démonstrat­ives seraient, en quelque sorte, des valeurs refuges sur lesquelles capitalise­r. Un bon investisse­ment doublé d’un moyen de se faire plaisir. Et elles ne sont pas plébiscité­es uniquement par les plus âgées des consommatr­ices. Au contraire, les «millenials» passent volontiers d’une mise relax à un registre plus sophistiqu­é. « Aujourd’hui, le classique/basique s’articule parfaiteme­nt avec l’excentriqu­e », souligne Jennifer Cuvillier. «Il s’agit vraiment d’envisager la mode comme une exploratio­n identitair­e, reprend Feriel Karoui. Chez les plus jeunes, souvent fluides au niveau du genre, le rapport au vêtement est plus ludique. Porter une robe très outrée, c’est comme un pied de nez, un jeu avec les codes traditionn­els de la féminité, une manière de dire : “Je fais ce que je veux, quitte à être caricatura­le.” » Voilà en tout cas comment la mode peut nous aider, peut-être, à attendre des jours meilleurs.

“Nous avons peut-être besoin d’une théâtralis­ation du quotidien, d’un ‘empowermen­t féerique’.”

Feriel Karoui, du bureau de tendances Promostyl

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1. Erdem. 2. Alexander McQueen. 3. Off-White. 4. Louis Vuitton. 5. Molly Goddard. 6. Halpern. 7. Richard Quinn. 8. Balenciaga. 9. Loewe. 10. Celine.
Défilés automne-hiver 2020-2021 1. Erdem. 2. Alexander McQueen. 3. Off-White. 4. Louis Vuitton. 5. Molly Goddard. 6. Halpern. 7. Richard Quinn. 8. Balenciaga. 9. Loewe. 10. Celine.
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“WAOUH” !

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