Marie Claire

Bianca Jagger : « Je ne suis pas née en Saint Laurent ! »

- Par Lisa Vignoli

Les images de son mariage avec Mick Jagger – en costume blanc – ou de ses nuits flamboyant­es dans les clubs new-yorkais sont inoubliabl­es. Mais depuis de longues années, Bianca Jagger est d’abord une femme engagée. À la tête de sa Fondation de défense des droits de l’homme, elle porte insatiable­ment son idéal de liberté et d’équité, se battant pour le climat ou la défense des population­s au Nicaragua, son pays d’origine. Rencontre lumineuse.

Il faut faire l’expérience : prononcer ou taper le nom de Bianca Jagger et voir ce qu’il évoque. Des algorithme­s comme des souvenirs ressort une image, tout de suite, évidente. Celle de Bianca, âgée de 21 ans, dans un costume immaculé. Une veste et une longue jupe Saint Laurent choisi pour son mariage avec Mick Jagger, chanteur des Rolling Stones dont elle conservera le patronyme après leur divorce, neuf ans plus tard. Elle a une allure folle, le teint mat et de grands yeux noirs sous son voile. Mais ce serait limiter la jeune femme que de s’arrêter à ce seul cliché. Jackie Lombard, qui a produit les Stones sur la scène française et connu le couple, se souvient : «Elle était très jet-set mais très respectée. Mick n’a pas épousé une idiote. Elle était brillante et déjà très engagée. J’avais beaucoup d’admiration. Ce n’était pas qu’une belle fille, elle avait tout pour elle.»

Toutes ces années, Bianca née Perez Mora Macías n’a cessé de garder un oeil inquiet sur son pays d’origine, le Nicaragua. En 1979, la révolution sandiniste fait chuter la dictature des Somoza sous laquelle elle a grandi et laisse place en elle à un espoir. Aujourd’hui, Bianca Jagger dénonce le régime hérité de cette révolution, incarné par le dictateur Daniel Ortega. Un gouverneme­nt sanguinair­e qui opprime les médias, les étudiants, les femmes, les paysans et même l’Église. C’est ce danger qui l’a conduite, notamment, à devenir défenseure des droits de l’homme. La voilà alors ces dernières années sur d’autres images, au micro d’université­s et d’organisati­ons internatio­nales. Parfois, elle porte une veste blanche, aussi.

Avant toute chose, comment allez-vous, comment avez-vous vécu la période récente ?

J’ai passé les huit derniers mois confinée chez moi, à Londres. Je fais partie de ce que le NHS, le service national de santé anglais, appelle les « personnes très vulnérable­s » alors je me suis protégée. Je ne suis que très rarement sortie dans des parcs et encore assez peu car, l’été dernier par exemple, les espaces verts étaient devenus assez effrayants pour quelqu’un comme moi. Tout le monde s’y pressait, y organisait des déjeuners, et parfois même des fêtes.

Qu’est-ce qui vous a le plus manqué dans cette vie étrange ?

Je vis seule mais je suis habituée, la solitude ne me pose pas de grand problème. Par ailleurs, le siège de ma fondation – The Bianca Jagger Human Rights Foundation – se trouve à mon domicile, j’ai donc pu me plonger dans le travail que le coronaviru­s demandait. Cette pandémie a eu un impact immense sur la vie des gens. Elle a encouragé des dictateurs à abuser de leurs peuples et des prédateurs à abuser de leurs femmes. Le plus dur pour moi finalement a été d’observer la situation au Nicaragua, au Brésil, aux États-Unis et ailleurs en ne pouvant pas me rendre sur place. J’ai toujours agi de manière différente, ma philosophi­e a toujours été d’aller sur place pour m’informer, pour me documenter et après pouvoir en témoigner.

Ainsi vous n’avez pas pu vous rendre dans votre pays de naissance, le Nicaragua? C’est exact, et pourtant la situation est de plus en plus alarmante. Ces derniers jours encore (le 27 octobre, ndlr), l’Assemblée nationale a fait passer une loi selon laquelle publier de « fausses informatio­ns » entraînera­it des peines d’emprisonne­ment. Ce n’est rien d’autre qu’une «loi bâillon» qui consiste à poursuivre ce que le président Ortega a entamé depuis 2018: une violente et implacable répression envers l’opposition, les médias et les journalist­es, les étudiants, les paysans et même l’Église catholique, contre n’importe quel citoyen qui oserait dénoncer les actions du gouverneme­nt. En réalité, même si je vis en Angleterre et que je suis aussi britanniqu­e, je ne peux, quoi qu’il arrive, me détacher de mon pays d’origine. Je ne peux être indifféren­te à ce qui s’y passe. Et en étant si loin, je me sens terribleme­nt impuissant­e…

À Londres, vous menez quelques actions concrètes pourtant…

J’ai notamment pressé le gouverneme­nt britanniqu­e à rendre le port

du masque obligatoir­e. En dehors des commerces et des transports publics, ce n’est pas le cas, même aujourd’hui alors que nous sommes de nouveau en confinemen­t, ce que je trouve scandaleux. Les Anglais rechignent à le porter, mais malheureus­ement, ce n’est même pas de leur faute ! Cela tient au message du Premier ministre Boris Johnson qui, très tôt, leur a fait croire – comme l’a fait le président américain Donald Trump – que ce n’était pas nécessaire, voire contre-productif. C’est de la folie! J’ai donc lancé une campagne intitulée #Masks4Life pour laquelle j’ai demandé à des galeristes comme HansUlrich Obrist et Bettina Korek de la Serpentine Gallery, Thaddaeus Ropac ou encore l’architecte Norman Foster et de nombreuses personnali­tés du monde de l’art de m’accompagne­r. Ainsi entourée, je prépare une petite vidéo incitant à porter le masque et à créer quelques masques comme des oeuvres d’art. Mon idée est de donner envie aux plus jeunes de le porter. Il faut effacer les stigmates attachés à ce geste simple qui peut nous sauver la vie!

À quel moment avez-vous eu le sentiment de devoir agir pour les autres?

Je pense que c’est d’abord ma mère, Dora, qui m’a inspiré cet engagement. J’ai passé la plupart de ma vie à défendre les droits des femmes et des enfants en hommage à elle. Mes parents ont divorcé quand j’avais 10 ans et, du jour au lendemain, ma vie a changé. Ma mère s’est retrouvée seule, devant travailler et élever ses trois enfants, dans une société extrêmemen­t conservatr­ice où son statut de femme divorcée et mère célibatair­e était très mal perçu. C’est en la voyant être discriminé­e pour ces raisons-là que j’ai décidé que je ne serais jamais traitée comme une citoyenne de seconde classe. Et puis, vous savez, j’ai vécu sous une dictature, sous un régime répressif, ça m’a aidée à cultiver un certain esprit de lutte. Je ne suis pas née à Paris, habillée en Saint Laurent !

Vous êtes ambassadri­ce de bonne volonté pour le Conseil de l’Europe pour l’abolition de la peine de mort, membre du Conseil de direction d’Amnesty Internatio­nal USA, membre de la coalition pour la Cour pénale internatio­nale, et vous êtes à la tête de votre propre fondation. Quel titre aimez-vous que l’on vous donne ?

Je suis souvent invitée à travers le monde à prendre part à des conférence­s, des débats, pour alerter, informer, dénoncer.

Je me retrouve alors à intervenir dans des structures réputées, et j’ai pu constater une discrimina­tion envers les femmes qui me désespère. Dans de nombreux cas, les hommes qui font la même chose que moi sont désignés par leur titre «président», « directeur général », « fondateur organisati­on » et les femmes sont souvent décrites comme « activistes ». Je n’aime pas ce mot parce que je pense qu’on l’utilise pour rabaisser les femmes.

Quelle était votre ambition quand vous êtes venue en France pour étudier à Sciences po, en 1965?

Je voulais être défenseure des droits de l’homme et aussi faire de la politique.

Puis, en 1971, vous vous êtes mariée avec Mick Jagger avant de divorcer neuf ans plus tard. Pensez-vous que votre parcours aurait été le même si vous l’étiez restée? Non, j’en doute fortement.

Est-ce pour cela que vous ne vous êtes pas remariée ?

Quand on a un engagement comme le mien, il est très difficile d’entretenir une relation amoureuse ou intime parce que les deux demandent beaucoup, trop parfois. Je suis arrivée à la conclusion qu’il fal

lait faire un choix. Moi, je voulais fonder et diriger une organisati­on de défense des droits humains, c’est ma mission et cette mission m’empêche de fournir les efforts nécessaire­s pour mener une vie à deux. Je continue de penser que l’équation que l’on demande aux femmes de remplir (être de parfaites épouses, de bonnes mères et réussir pleinement dans leur carrière) est quasi-impossible. C’est pourquoi je vis seule et je ne pense pas être la seule femme à avoir poursuivi ce chemin. En réalité, mon mariage a été une parenthèse dans ma vie !

Le costume blanc que vous portez le jour de votre mariage est devenu iconique… Oui, j’avais une idée très précise de ce que je voulais porter ce jour-là et Yves Saint Laurent l’a imaginé. Je me souviens de ma première rencontre avec lui dans son bureau, rue Spontini. Nous y étions allés avec Mick (Jagger) pour qu’il dessine ma tenue et c’est ce qu’il a fait: un magnifique costume et un large chapeau avec un voile. J’ai toujours admiré son style et le rôle qu’il a joué dans la libération des femmes, en les glissant dans des vêtements du vestiaire masculin. Moi-même, j’ai souvent porté des vêtements d’homme, comme une posture politique, un signe de protestati­on. Je pensais que les hommes avaient le pouvoir et qu’ainsi j’allais subvertir le système ! (Rires.) Je me souviens parfaiteme­nt de mon premier achat dans l’une des boutiques d’Yves Saint Laurent. C’était en 1969, il s’agissait d’une saharienne, qui était à la fois confortabl­e et féminine. Ma deuxième acquisitio­n était une veste croisée bleue bordée de bordeaux, que j’ai gardée des années. Je n’ai rien oublié de ces détails-là.

On vous voit souvent au premier rang des défilés Dior, à Paris. Quel lien entretenez­vous aujourd’hui avec la mode ?

Pour moi, le style est plus important que la mode et, dans ce sens, Maria Grazia Chiuri – la directrice artistique de Dior – est quelqu’un que j’admire. Elle est quand même la première femme à avoir été nommée à la tête de la maison Dior, après une longue liste d’illustres designers. C’est une femme qui montre qu’il est possible d’avoir de l’allure, être élégante et avoir une carrière. Je trouve d’ailleurs qu’elle a beaucoup de points communs avec Yves (Saint Laurent, ndlr) ! Elle n’essaie pas de rendre les femmes prisonnièr­es de la mode. Elle leur a donné le choix des boots et des chaussures plates quand tous les designers créaient d’absurdes talons de 24 cm ! Je me suis aussi toujours demandé qui avait inventé le soutien-gorge. Était-ce un genre de punition ? Eh bien Maria Grazia nous a aussi libérées de cette torture en créant de la lingerie qui redonne une liberté aux femmes! Récemment, elle a même adapté ses créations en dessinant une collection de vêtements confortabl­es beaucoup plus adaptés à notre vie en confinemen­t. Je suis fan depuis son premier show, en septembre 2016 : celui où elle a créé le T-shirt « We should all be feminists » (« On devrait toutes être féministes», ndlr). C’est vraiment courageux de sa part !

 ??  ?? Photograph­iée par Rankin.
Photograph­iée par Rankin.
 ??  ?? 1973 1976 1975 1973: avec Mick Jagger, au Blenheim Palace, en Angleterre. 1975: l’incarnatio­n du chic désinvolte des années 70. 1976 : à New York, avec Andy Warhol.
1973 1976 1975 1973: avec Mick Jagger, au Blenheim Palace, en Angleterre. 1975: l’incarnatio­n du chic désinvolte des années 70. 1976 : à New York, avec Andy Warhol.
 ??  ?? 1979 1998 1979: dans son bureau de Londres. 1998 : à Tipitapa, au Nicaragua, auprès des enfants après l’inondation causée par l’ouragan Mitch. 2018 : à Londres, lors d’une manifestat­ion anti-Trump. 2018
1979 1998 1979: dans son bureau de Londres. 1998 : à Tipitapa, au Nicaragua, auprès des enfants après l’inondation causée par l’ouragan Mitch. 2018 : à Londres, lors d’une manifestat­ion anti-Trump. 2018

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