Féministe ta mère
Chaque mois, la journaliste Giulia Foïs s’attaque à un stéréotype qui colle à la peau du mouvement #MeToo. Et parfois au cerveau de sa mère, pourtant bien constitué.
«Habituellement dépourvue de filtre à bouche, ma mère peut, certains soirs, brandir la carte “Philippe”. Comme dans: “Philippe déteste les néo-féministes. Il les trouve trop radicales. Pour lui, ça dessert la cause.” Faire appel à un ami quand on le sent moyen, ça marche assez bien. Autant que de parler de “néo-féminisme” pour pointer l’inexpérience, voire l’incompétence, de celles qui, depuis plus d’un siècle, se battent pour que la moitié de l’humanité ait les mêmes droits que l’autre. Car, faute d’avoir totalement abouti, la “cause” n’a pas changé. Le vocabulaire non plus: une suffragette était déjà dite “néo-féministe”. Et radicale. Puis “refoulée”. Et “mal baisée” : “J’étais une aigrie bourrée de complexes d’infériorité à l’égard des hommes; à l’égard des femmes, le ressentiment me rongeait.” Ça, c’est Sainte Simone qui l’écrit*. De Beauvoir qui, désormais, aux yeux de tous les Philippe, est une icône du “bon féminisme”. C’est oublier que ce qui semble aujourd’hui parfaitement acquis – l’IVG ou le droit de vote – a longtemps été considéré comme pure folie. Oublier qu’on a rarement fait la révolution en restant poli·es. Que la vraie violence tient bien plus à ce qui provoque la révolte qu’à la nature de ses slogans. Et qu’on a jamais aimé celles et ceux qui voulaient renverser l’ordre établi. Par peur de l’inconnu, crainte d’y laisser des plumes – ou quelques privilèges – et mus par une gigantesque flemme à l’idée de tout repenser pour mieux reconstruire. Il y a toujours eu des Philippe pour expliquer aux Simone qu’elles “desservaient leur cause”. Tant pis si cette cause, ils n’en connaissent ni l’histoire, ni le fond, ni le vocabulaire. Ça ne les a jamais empêchés d’avoir des certitudes. En fait, rien n’est “néo”, dans cette affaire. Au mieux, on pourra avertir Philippe : le jour où tu penses, sans même vérifier, que c’était mieux avant, tu es devenu vieux. Ça a fait marrer ma mère. “Vivement qu’on ne soit plus là, les vieux, que vous puissiez avancer!” C’est ce qu’elle m’a dit avant de raccrocher. J’ai préféré la vanner. Au fond, j’espérais juste qu’elle reste encore un peu. Sans (presque) rien changer.»
(*) Dans La force des choses pour évoquer l’accueil fait au Deuxième sexe, éd. Gallimard et Folio.