Thom Browne
À la normalité, le créateur américain dit préférer l’étrange. Mais c’est le besoin de “faire sourire et sortir les gens de la réalité” qui l’inspire en ces temps incertains. Il nous explique comment il l’a mis en oeuvre dans sa dernière collection.
Comment se sont passés ces derniers mois?
Pendant le confinement, je n’ai pas quitté New York, où j’ai passé mes journées à dessiner la collection printemps-été 2021. J’ai beaucoup travaillé, comme d’habitude, simplement je faisais tout de chez moi. J’ai cherché à me mettre au défi en voyant les choses de façon positive. Mais il a fallu tout réorganiser, imaginer de nouveaux moyens de collaborer entre les équipes. Pas évident de tenter des expérimentations ou d’exprimer des partis pris créatifs via un ordinateur, ce n’était pas l’idéal mais on a fait au mieux.
Vous avez traversé la crise de 2008, comment envisagez-vous celle-ci?
Pour la marque, c’est totalement différent. En 2008, je ne savais pas si nous allions pouvoir traverser la tempête. Cette fois-ci, nous sommes plus stables, plus forts. Je suis très fier d’avoir pu garder et surtout payer les 450 employé·es qui travaillent dans le monde entier pour Thom Browne, dont une centaine à New York. Nous sommes une entreprise avec un fonctionnement familial, donc le bien-être des un·es et des autres me tient à coeur. Dans ce monde incertain, il faut oeuvrer à montrer des choses inspirantes pour faire sourire les gens et les sortir de la réalité. La créativité est plus importante que jamais.
L’uniforme, le ruban tricolore, pourquoi ces signatures vous semblent importantes?
Quand vous regardez les marques qui ont eu du succès dans le passé, elles possédaient une signature forte. Et ces deux-là me ressemblent. J’ai grandi en Pennsylvanie dans une famille de sept enfants où nous portions tous un uniforme à l’école, et j’ai adoré ça. En grandissant, j’ai réalisé que porter toujours le même type de vêtements, que ce soit un costume ou un jean et un T-shirt, c’est faire preuve d’une grande confiance en soi. Quant au ruban bleu, blanc, rouge, c’est un clin d’oeil à une médaille que j’ai gagnée enfant, à la natation. Le sport a toujours eu une place importante dans ma vie. Je suis admiratif des athlètes, du travail, du dévouement et de la discipline que cela demande.
Vos défilés se distinguent par une mise en scène spectaculaire. Le dernier, en vidéo, imaginait de faux Jeux olympiques du futur. Comment travaillez-vous sur vos présentations?
Mon processus créatif débute parfois par la conception des vêtements, d’autres fois par l’histoire que je vais mettre en scène dans le show. Par exemple, pour l’automne-hiver 2020, j’ai fait défiler l’homme et la femme ensemble, avec les mêmes vêtements. J’ai voulu que l’on ait du mal à distinguer les genres, qu’on ne sache pas s’il y avait une influence féminine sur le vestiaire masculin ou le contraire. J’aime provoquer des réactions, amener les gens à penser différemment, susciter le débat, quitte à ce que cela provoque un peu de tension. À la normalité, je préfère l’étrange.
Ces dernières années, on a beaucoup questionné la place du défilé, quelle est votre opinion sur le sujet? Depuis longtemps, on remet en cause la pertinence des défilés physiques mais la digitalisation des dernières fashion weeks a, me semble-t-il, permis d’en réaliser l’importance. Ma génération a dû s’acclimater au «on line», aux réseaux sociaux… Mais je ne suis pas fan des shows virtuels, je préfère largement présenter mes collections en personne. Je ne ferai pas ce métier s’il n’y avait pas les défilés.