LE RETOUR EN GRÂCE DES HERBORISTES
On pensait la pratique tombée en désuétude, mais en 2020, l’herboristerie n’est plus l’apanage des anciens ou des pharmaciens. Au contraire, l’engouement suscité par les propriétés thérapeutiques des plantes ne cesse de croître. Rencontre avec quatre herboristes bien de leur temps.
«Mes feuilles sont douces comme les oreilles d’un âne. Mon nom commun sent un peu la soupe! J’aime les sols secs et sableux et mes fleurs sont des alliées du système respiratoire. Qui suis-je ? » Les douze élèves partent à sa recherche dans le potager du Roi, à Versailles. Lucile Chapsal, herboriste, qui a concocté le quiz botanique, les oriente vers une plante élancée à la tige brunie par l’automne. Il s’agit de Verbascum Thapsus, communément appelée bouillon-blanc et dont les tisanes sont connues pour «soulager les gorges irritées et les toux». La réponse enchante ces féru·es de botanique inscrit·es à la formation «Créer son jardin de plantes aromatiques et médicinales», qui est dispensée à l’École nationale supérieure de paysage et affiche complet.
NATURE, en se DÉSIR DE RENOUER AVEC LA DE RALENTIR mettant au rythme des végétaux, de prendre soin de sa santé avec des remèdes naturels? Les savoirs et les pratiques liés aux plantes avec des propriétés thérapeutiques connaissent depuis quelque temps un engouement très fort, signe du besoin de notre société de se reconnecter au vivant. Les jeunes générations sortent l’herboristerie des arrière-cuisines de nos grands-mères.
Le corps de Lucile Chapsal est un herbier vivant. Sur son avant-bras droit, le tatouage d’un plantain « cette mal-aimée » pourtant tellement utile pour apaiser les piqûres d’insectes et d’orties. «C’est la première plante médicinale que j’ai connue grâce à mon grand-père». Sur son bras gauche, celui d’une fleur d’ail délicate comme une dentelle, au creux du poignet se niche un joli pissenlit, sur la cuisse, une achillée. Cette belle rousse de 32 ans qui, enfant, observait les plantes dans le Vercors, a abandonné ses études de littérature pour se former en herboristerie. Elle aime transformer le calendula en baume, fabriquer un macérat huileux avec des immortelles, cueillir les feuilles et les fleurs de son jardin pour en faire des infusions… Intarissable sur les particularités de chaque plante, Lucile Chapsal veut «diffuser le savoir pour rendre les gens plus autonomes, leur apprendre à agir en amont d’un problème, avant que la maladie n’apparaisse ». Elle appartient «à une génération en quête d’une meilleure connaissance des plantes et des remèdes». Cofondatrice de l’École bretonne d’herboristerie, Marie-Jo Fourès constate aussi ce vif intérêt : « La demande est exponentielle. Il y avait 45 élèves dans la première promotion en 2013. La dernière en compte 96 et une centaine de personnes sont sur liste d’attente.» Les intéressé·es sont « de plus en plus jeunes », se réjouit-elle. «Certains arrivent après le bac», et il s’agit majoritairement de femmes. Cet enthousiasme ravit cette infirmière de formation qui a toujours su que «l’être humain ne pouvait pas faire sans le végétal» : «La transmission est assurée, c’est réconfortant.» En 2020, il faut tout de même plonger les apprenti·es herboristes dans le grand bain de la nature. «Nous voyons que nos élèves ont perdu le contact avec le végétal. Nous les remettons dans le jardin, la forêt. » Botanique, usages et transformation des plantes… La formation délivre les connaissances essentielles pour la vente d’herbes en boutique, la production, la transformation. À la recherche de soins complémentaires à la pharmacopée moderne, médecins et autres professions paramédicales sont aussi de plus en nombreux et constituent un tiers des promotions. Mais c’est un certificat d’aptitude à l’herboristerie qui est délivré, et pas un diplôme, supprimé en 1941, sous le régime de Vichy. Malgré les demandes, il n’a jamais été rétabli. Légalement, seuls les pharmacien·nes ont droit à l’appellation officielle d’herboriste. Celles et ceux qui font des plantes leur métier doivent donc faire attention aux recommandations qu’ils prodiguent car ils pourraient être accusés d’exercice illégal de la médecine. Pour ne pas tomber sous le coup de la loi, il faut jouer avec les mots. Ainsi, dire d’une plante qu’elle est digestive ou sédative est interdit. On comprend enfin pourquoi les tisanes s’appellent toutes « douce nuit », « ventre plat »…
Thierry Thévenin, paysan herboriste (1), qui cultive des plantes dans la Creuse depuis trente et un ans, se bat pour avoir le droit d’utiliser ce savoir-faire ancestral: « Les plantes ont fait leurs preuves depuis des siècles. On sait que ça marche. Il y a deux mille ans, Pline écrivait que le fenouil était digestif. Pour moi, cet empirisme est aussi valable que des études sur des rats pendant trois
semaines. » Bien sûr, il ne s’agit pas d’établir un diagnostic médical ni de prescrire une décoction de verveine pour guérir d’un cancer. «Il y a beaucoup de fantasmes sur l’herboristerie. Il m’arrive évidemment d’envoyer des gens chez le médecin. Les gens ne sont pas non plus idiots, ils ne viennent pas chercher le père Noël mais une relation de confiance. Ils ont été tellement dégoûtés par les scandales de l’industrie pharmaceutique et agroalimentaire. » Ces jours-ci, Thierry Thévenin a préparé son jardin à passer l’hiver et est occupé avec l’expédition des tisanes, «c’est la saison». À 55 ans, il vit bien de sa production. Il se félicite d’avoir tenu bon et se remémore «les longues années de galère» des débuts, lorsqu’il tentait de vendre ses cueillettes sur les marchés, « personne n’avait dû voir ça depuis le Moyen Âge».
LA DEMANDE POUR SOIGNER SOI-MÊME SES «PETITS BOBOS» sans recourir à des médicaments de synthèse a beau être forte aujourd’hui, peu de pharmacies proposent une offre fournie en plantes médicinales. Hors des officines, la vente en boutique reste encadrée, même si la commercialisation sur Internet a explosé sous l’effet de l’évolution de la réglementation européenne sur les compléments alimentaires. Sans que les garanties sur la qualité et la provenance ne soient toujours au rendez-vous. Sabrina Boutefnouchet, maîtresse de conférences en pharmacognosie (2) à l’université de Paris, est pour un desserrement du carcan législatif autour de l’herboristerie. Il s’agit de «proposer hors pharmacie des plantes utilisées traditionnellement pour les dysfonctionnements qui ne vont pas déclencher une maladie. Ceux que la plupart des personnes sont capables de diagnostiquer, comme un rhume ou des petits troubles digestifs, qui font appel au bon sens, en évitant les dérives». Cette pharmacienne vient de créer une licence professionnelle de conseiller spécialisé en herboristerie et produits de santé à base de plantes: «Elle dispense les compétences nécessaires pour garantir la qualité des produits et la sécurité du consommateur grâce à un conseil pertinent. » La première rentrée a eu lieu en septembre, au complet et avec une liste d’attente.
DES COMPTOIRS D’HERBORISTERIE QUI OUVRENT EN VILLE à la production dans les champs, les débouchés professionnels sont vastes. Ingénieure en agriculture, Elsa Mauboussin travaillait dans la certification qualité environnementale. Mais la naissance de son fils il y a quatre ans a accéléré son désir «d’une vie plus simple» et son « besoin de concret ». Diplôme universitaire en aromathérapie et phytothérapie, formation dans des lycées agricoles: cette passionnée de 32 ans a construit sa reconversion. Dès qu’elle a été opérationnelle, ses parents – des agriculteurs bios dans les Yvelines – lui ont confié un hectare de terre de la ferme familiale. «J’ai fait ma première récolte cette année», dit-elle pleine de fierté. Des pétales avec lesquels elle fabrique de l’eau de rose. Mais aussi produits et infusions à base de sureau, ortie, sauge-ananas… Le tout en bio. La commercialisation a aussi démarré sur son site (3). Elle vient juste de coller les étiquettes sur les flacons. Cette paysanne herboriste encourage les femmes tentées par l’agriculture à se lancer dans cette activité à haute valeur ajoutée : «Il ne faut pas de matériel, ni de tracteur ni avoir beaucoup de terre. L’installation est assez facile.» Elle trouve son métier « magnifique » : « Chaque jour, la fleur change. Un matin, on se dit: ah, elle a fleuri! Je ne regrette pas, je peux tester plein de choses.» D’ailleurs, elle se met à penser au «jasmin qui a une odeur incroyable» et mille envies surgissent.
1. Auteur de Plaidoyer pour l’herboristerie: comprendre et défendre les plantes médicinales, éd. Actes Sud. 2. Science des médicaments d’origine naturelle. 3. lherbierdelsa.fr
“J’appartiens à une génération en quête d’une meilleure connaissance des plantes et des remèdes. (…) Je veux apprendre aux gens à agir en amont avant que la maladie n’apparaisse.”
Lucile Chapsal, herboriste