Les séries, nouveaux podiums ?
Ces derniers mois, les séries ont pris une place centrale dans nos quotidiens. Mais c’est aussi le cas des looks des héroïnes de The Crown ou Emily in Paris, qui affolent Internet et tous les radars mode. Au point d’inspirer la rue, et même les créateurs.
En décembre dernier, Chanel HASARD OU COÏNCIDENCE? présentait sa collection Métiers d’art 2020-2021 au château de Chenonceau et les premières mannequins défilaient avec une minijupe en damier noir et blanc. Un clin d’oeil au sol de la grande galerie de la demeure historique sûrement, mais aussi un motif qui flotte dans l’air du temps. Depuis la diffusion de la série Le jeu de la dame sur Netflix, l’histoire d’une surdouée des échecs dans l’Amérique des années 60, le jeu de stratégie a le vent en poupe, le vestiaire «Pradaness» (évoquant le style Prada) porté par la jeune Beth Harmon aussi. Ses robes au genou, ses chemisiers à lavallière, ses motifs ont entraîné une recherche de +43 % des vêtements à carreaux selon la plateforme de shopping lyst.fr. Quelques semaines plus tôt, une autre série affolait les radars mode : Emily in Paris, qui a fait décoller les recherches de bob Kangol de 342 %, toujours selon lyst.fr. «Après sa diffusion sur Netflix, il y a eu une vague de “copycats” chez les influenceurs: le béret, le bob ou encore les jupes Ganni dont les ventes ont grimpé, affirme Maud Barrionuevo, directrice des achats du site 24s.com. La mode nourrit ces séries, mais l’inverse est vrai aussi puisqu’elles remettent au goût du jour certaines tendances. »
QUI N’A PAS FANTASMÉ SUR LES ESCARPINS MANOLO
de Carrie Bradshaw dans Sex and the city? Les BLAHNIK serre-têtes de Blair Waldorf dans Gossip girl ? Les silhouettes sixties de la secrétaire Peggy dans Mad men? Et aujourd’hui, on veut toutes se balader dans la campagne avec une veste Barbour façon famille royale britannique (39 % d’augmentation des recherches depuis la diffusion de The Crown, selon lyst.fr). « Ces shows fabriquent des looks. Déjà Diana Rigg dans Chapeau melon et bottes de cuir donnait envie à toute une génération de porter des combinaisons en PVC et des bottes plates, retrace Ava Cahen, chroniqueuse dans l’émission Une heure en séries sur France Inter. Ils proposent des “role models” auxquels on s’identifie, encore plus aujourd’hui avec l’accélération de la consommation des séries. La diffusion de Stranger things a par exemple entraîné le retour dans les boutiques des vestes en jean sans manches, des T-shirts XXL, des casquettes à la Spielberg.» Même Nicolas Ghesquière chez Louis Vuitton a fait défiler en 2018 un T-shirt à l’effigie des
personnages. Car les séries ont pris une place centrale dans nos vies avec l’explosion de plateformes comme Netflix, qui compte désormais plus de 195 millions d’abonné·es, un phénomène décuplé depuis la pandémie. «Ce “binge watching” a érigé les personnages en modèles. Et comme on les suit sur plusieurs épisodes, on s’y attache et on s’y identifie, notamment lors du confinement où les séries restaient l’une des rares sources d’inspiration », décrypte Ambre Venissac, du bureau de tendances Carlin.
LES SÉRIES ANGLO-SAXONNES ONT AINSI GAGNÉ UNE CRÉDIBILITÉ
avec des vestiaires pertinents, précis et terriblement MODE séduisants. « Dans Le jeu de la dame, la costumière Gabriele Binder s’est inspirée de Pierre Cardin et Christian Dior pour illustrer la sophistication de l’héroïne. Pour The Crown, ancré dans les années 80, sa consoeur Amy Roberts met en avant notamment les épaules marquées, que l’on peut d’ailleurs retrouver aujourd’hui chez Balenciaga », observe Matthew Yokobosky, commissaire de l’exposition virtuelle «The queen and the crown », sur les vestiaires des deux séries, qui vient de s’achever au Brooklyn Museum, aux États-Unis. On pouvait y apercevoir la robe de mariée de Lady Di, plus loin le top noir et blanc façon André Courrèges de Beth Harmon et sa robe en velours vert inspiration Swinging London, soigneusement choisis par Gabriele Binder.
«En observant attentivement les joueurs d’échecs, j’ai réalisé qu’ils avaient tous cette volonté de se sentir à l’aise dans leurs vêtements pour être concentrés sur le jeu, explique-telle. Les années 60 marquent une révolution dans la société mais aussi un grand bond dans la mode. Aujourd’hui, plusieurs maisons de cette décennie réapparaissent: Nina Ricci, Courrèges, Celine et sûrement bientôt la marque Pierre Cardin, dont les créations si modernes ont toutes les chances de revenir au goût du jour.»
SI LE PUBLIC MONTRE UNE APPÉTENCE PARTICULIÈRE POUR
– vingt mille abonné·es à LES TENUES DE CES HÉROÏNES l’Instagram @emilyinparisoutfit –, les créateurs se sont aussi nourris de cette source d’inspiration pendant les mois d’isolement. Déjà la nouvelle marque newyorkaise Rowing Blazers a réédité le pull rouge à moutons blancs de Lady Di. « Il y a de fortes chances de retrouver ces influences sur les podiums de la prochaine fashion week, car ces silhouettes nourrissent l’imaginaire collectif. On verra peut-être une reprise du béret, ou bien une évocation, un clin d’oeil», affirme Ambre Venissac. Et avec les photos de ces personnages déjà punaisées sur les story-boards des studios de création, on devrait bientôt apercevoir le manteau à carreaux du Jeu de la dame dans les rayons de Zara. Pour apprendre à jouer aux échecs, en revanche, il faudra un peu plus de temps.
“Il y a de fortes chances de retrouver ces influences sur les prochains podiums, car ces silhouettes nourrissent l’imaginaire collectif.”
Ambre Venissac, du bureau de tendances Carlin