Marie Claire

« Vivre avec un homme-enfant s’est révélé un enfer»

- Par Corine Goldberger Illustrati­ons Joel Burden

Claire, 45 ans, s’est longtemps accommodée de l’insoucianc­e de Fabrice, le gentil geek en Converse avec qui elle a eu deux garçons. Jusqu’à ce que celui que ses copines appelaient “Chouchou” se transforme en monstre manipulate­ur.

Quand je regarde des photos de Fabrice, mon ex, posant à côté de notre fils aîné en costume cravate, je vois un ado: jean troué, Converse, manches retroussée­s pour montrer ses tatouages, montre à gousset tendance dans la poche… Le plus gamin des deux n’est pas celui qu’on croit. Mes derniers mois de vie commune avec lui? Régulièrem­ent, quand je rentrais du bureau, je le découvrais, avec ses copains motards, affalé dans le salon, bière à la main, comme s’il était toujours célibatair­e. Évidemment, à chaque fois, je pétais un câble. C’était sa dernière passion: retaper des motos pour les revendre. Depuis des semaines, je protestais contre les pneus graisseux à réparer trônant sur le canapé. La cuisine était maculée de cambouis. Un matin, j’avais même retrouvé des pièces de moteurs qui cuisaient dans le four pour une opération de décapage. Ça, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : je ne le supportais plus.

Tout avait pourtant commencé comme dans ces comédies romantique­s où l’héroïne rencontre enfin l’âme soeur. J’avais 30 ans, je papillonna­is, rien de sérieux. À l’époque, j’étais hôtesse de l’air chez Air France sur longs courriers, lui, contrôleur aérien. On était fait pour s’entendre. C’est une amie commune qui nous a présentés. On a toutes fait l’expérience de ces dîners traquenard­s, des rencontres plus ou moins provoquées par les copines qui ne marchent jamais. Mais il avait un look de surfeur, sans être fadasse, et il était débordant de joie de vivre… Une vie insouciant­e a commencé : pas de plan de carrière, pas de dossier à rapporter le soir à la maison et des vacances de rêve grâce aux avantages de mon poste. Sous la couette, il cochait toutes les cases. Doué, tactile, à l’écoute.

jusqu’à J’AI ÉTÉ AMOUREUSE DE LUI CINQ ANS, ce que, un mariage et deux enfants plus tard, je commence à me poser des questions sur notre couple. Nos journées me semblaient inconsista­ntes. Notre vie, un bateau ivre, sans direction, sans projet familial, sans cadre. Car toute discussion sérieuse l’ennuyait ouvertemen­t. Ainsi, il fallait absolument que la bonne humeur et la légèreté règnent en permanence à la maison. Dans notre monde de Bisounours, il se déguisait tout le temps – j’avais l’impression de vivre avec le croisement du père Noël et d’un GO du Club Med – et faisait mine de ne rien voir quand les enfants faisaient une bêtise. Bien sûr, je passais pour la Mère Fouettard quand je voulais les sermonner. J’avoue que, pendant plusieurs années, je me suis accommodée tant bien que mal de sa personnali­té fuyante: mon métier m’éloignant souvent et longtemps de ma famille, c’est lui qui gérait la maisonnée. Une vraie mère bis, mais sans valeurs éducatives à transmettr­e. Impossible d’avoir une conversati­on franche et carrée avec lui: détestant le conflit, il avait aussitôt les larmes aux yeux et la tremblote, s’éclipsait à la moindre contrariét­é ou lorsqu’il fallait se positionne­r. Son idéal de vie: pas de prise de tête, juste des projets amusants, voyages, shopping – un vrai panier percé –, restos… Avec le Covid, il a dû souffrir.

Ses comporteme­nts me laissaient perplexes. Comme ces enfants qui zappent d’une activité à l’autre, il enchaînait les engouement­s: golf, hockey sur glace en nocturne, vente de planches à voile puis de motos d’occasion, son emploi du temps lui laissant de larges plages de congés. Il cassait aussi une voiture par an, mais quoi qu’il arrive, c’était toujours la faute des autres. Choisir un lieu de vie, acheter une maison, déménager, lancer des travaux, réfléchir aux orientatio­ns scolaires des enfants : je devais prendre toutes les grandes décisions seule. Lui était d’accord sur tout. “Du moment que ça te fait plaisir.” Des détails agaçants m’ont sauté aux yeux. Comme sa manie, le soir, de se gaver de bonbons et de corn-flakes, de siroter du lait, comme un bébé qui tête. Ses comporteme­nts en public me mettaient de plus en plus mal à l’aise : propos qui sonnaient creux, blagues dignes d’un gamin de 10 ans… Il brassait du vent, un éternel sourire collé au visage. Sans doute pour éviter des conversati­ons trop plombantes à ses yeux, il fuyait les maris, préférant “passer les plateaux” et ne discuter qu’avec mes amies. Il aimait parler fringues, raconter ses souvenirs d’école et courir en forêt avec elles. Elles l’appelaient “Chouchou”, le chéri de leur bande…

Je n’ai pas oublié le regard sidéré de mon père, un chef d’entreprise qui déteste les enfantilla­ges, quand, lors d’un repas de famille, Fabrice s’est soudaineme­nt jeté à terre pour marcher à quatre pattes autour de la table en aboyant et en remuant l’arrière-train. Amuser notre fils, âgé de 5 ans à l’époque, était visiblemen­t plus urgent que

“Choisir un lieu de vie, acheter une maison, déménager, lancer des travaux, réfléchir aux orientatio­ns scolaires des enfants : je devais prendre toutes les grandes décisions seule. Il était d’accord sur tout, du moment que ça ‘me faisait plaisir’.”

de participer à la conversati­on des adultes. Pour aider mon père à gérer l’important patrimoine immobilier familial et reprendre ma vie en main, j’ai changé de métier. Acheter des immeubles, gérer des budgets… je m’épanouissa­is profession­nellement. Mais quand je rentrais à la maison, la tête pleine de chiffres, je le retrouvais toujours en train de s’amuser, ou se plaignant d’être fauché, car tout son (confortabl­e) salaire passait dans ses motos qui ne lui rapportaie­nt rien. Au fond, ce diplômé de l’École nationale de l’aviation civile, ancien matheux, avait tout du geek, ces passionnés brillants mais immatures.

Un jour, à bout, MAIS JE N’ÉTAIS PAS SA PSY. déprimée, j’ai réalisé que j’avais besoin d’un homme, pas d’un troisième enfant. J’ai décidé de faire chambre à part. Je voulais rester encore, tenir pour les enfants. J’ai fini par le tromper, avec un éditeur rencontré à un dîner. Euphorique, je me sentais femme à nouveau. Mais au bout de trois mois, Fabrice est tombé sur un SMS et j’ai alors découvert une facette inconnue de Chouchou. Le lendemain, devant moi, il s’est tapé la tête contre un mur à en saigner. Il a aussi déchiré son T-shirt et appelé le 17… Deux femmes gendarmes se sont présentées à la maison tandis qu’il accourait en hurlant : “Regardez ce qu’elle m’a fait !” J’étais tétanisée. Toutes les apparences étaient contre moi. Le cauchemar a duré six mois car il a récidivé. J’ai ainsi passé douze heures au commissari­at à tenter de m’expliquer face à des photos de ses bras couverts de bleus… Armé de son téléphone, il m’insultait aussi tout en me filmant, me réveillant parfois en pleine nuit pour me pousser à bout, pour que je le frappe, pour se faire passer pour la victime d’une folle violente, preuves à l’appui. Quand les enfants s’inquiétaie­nt de ce qu’ils voyaient, il les prenait dans les bras : “Maman ne va pas bien en ce moment, ne vous inquiétez pas, on va se mettre à l’abri.” Non, ce n’était pas une stratégie pour avoir la garde exclusive des enfants. Il ne l’a pas demandée. C’était pour que, de guerre lasse, je déguerpiss­e de cette maison pourtant payée par moi, et tous les moyens étaient bons. Comme voler tous mes vêtements, revendant les plus belles pièces, et mes bijoux: une forme sophistiqu­ée de harcèlemen­t. Loin de me soutenir, ma meilleure amie m’a tourné le dos : comment pouvais-je parler ainsi de Chouchou? Le pompon ? J’ai eu le sentiment d’avoir épousé un gigolo quand il m’a réclamé une prestation compensato­ire de 2,5 millions d’euros pour “conserver son niveau de vie”, alors qu’il touche un très bon salaire de contrôleur aérien. J’ai compris dans la foulée pourquoi il m’avait aussi volé tous mes papiers, actes de propriété, déclaratio­n de patrimoine… Certes, mon père a bâti un empire immobilier, mais je n’hériterai qu’à son décès. Malheureus­ement, d’après mon notaire, il existe un petit risque que je doive payer cette prestation compensato­ire. Si Fabrice réussissai­t à convaincre le juge que, même s’il gagne bien sa vie, notre divorce l’a appauvri et qu’il n’a pas évolué dans sa carrière pour me permettre de poursuivre la mienne en s’occupant plus souvent que moi des enfants, j’en serais malade. D’autant que le faux gentil espionne mes moindres faits et gestes pour tenter de prouver que je mène une vie de princesse, alors que je ne gagne que mon salaire grâce auquel, aujourd’hui, j’élève seule nos deux garçons en essayant de leur inculquer le sens des responsabi­lités. Je me le suis promis: eux ne seront pas des hommes-enfants.»

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