Marie Claire

Ces pop stars qui prennent soin de nous

Elles s’appellent Rihanna, Lady Gaga, Alicia Keys ou Kylie Jenner, et ne se contentent pas d’apposer leur nom sur des flacons mais s’investisse­nt dans des gammes de soins qui vendent bien plus que du rêve. Enquête sur une tendance qui colle à la peau de l

- 190 Par Claire Dhouailly Collages Anna Bu Kliewer

Tout a commencé avec le parfum. Avec Marilyn Monroe, ambassadri­ce de Chanel malgré elle, lorsqu’elle déclara en 1960 ne porter, pour dormir, que du N°5. Pour l’anecdote, huit ans plus tôt, elle avait déjà fait à un journalist­e la même réponse, qui à l’époque avait été censurée. Avec quelques gouttes de fragrance, il devenait possible pour chaque femme de revêtir un peu de l’aura de la star. Il faudra pourtant attendre presque trente ans pour que soit lancé le premier parfum de célébrité en nom propre, Passion d’Elizabeth Taylor, formulé sous la houlette d’Elizabeth Arden. Suivront Britney Spears, Mariah Carey, puis, chez Coty, Jennifer Lopez, Céline Dion ou encore Kylie Minogue, pour ne citer qu’elles, le phénomène ayant pris une ampleur assez impression­nante, même s’il est toujours resté très anglo-saxon. Progressiv­ement, les réseaux sociaux aidant, les personnali­tés publiques ont utilisé leur image pour commercial­iser du maquillage. Reines de la transforma­tion, pop stars et influenceu­ses incarnent mieux que quiconque la performanc­e des produits et leur pouvoir de métamorpho­se. « L’emblème de cette période, c’est Kim Kardashian avec KKW Beauty, dont chaque référence est assortie d’un storytelli­ng très maîtrisé », constate Éric Briones, auteur de Luxe et résilience : les clés pour rebondir face aux crises*. Aujourd’hui, le produit de célébrité prend un nouveau virage, celui du soin et c’est loin d’être un hasard. « Nous assistons à la “skinificat­ion” du monde de la beauté. Les soins de la peau sont la catégorie qui croît le plus rapidement sur le marché. Particuliè­rement au cours de la dernière année, la pandémie ayant remodelé les mentalités des consommate­urs. Le secteur est devenu synonyme de prendre soin de soi, de se faire plaisir et de se ressourcer», constate Sue Y. Nabi, fondatrice des cosmétique­s Orveda et nouvelle directrice générale de Coty, groupe qui détient Kylie Skin, le label soin de Kylie Jenner lancé chez Nocibé en mai dernier, puis en début d’année aux Galeries Lafayette et sur e-shop.

LES NOUVEAUX VISAGES DU SOIN

Si dès 2019, des célébrités s’étaient déjà positionné­es sur le créneau du soin, comme Victoria Beckham, en collaborat­ion avec Augustinus Bader, ou la jeune star de Stranger Things, Millie Bobby Brown, avec Florence by Mills, la marque clean destinée aux adolescent·es qu’elle a créée, l’automne 2020 annonce une accélérati­on des lancements. Chez Sephora, en décembre dernier, Rihanna a dévoilé mondialeme­nt Fenty Skin, quatre produits minimalist­es et écologique­s conçus pour toutes les peaux et toutes les carnations (voir aussi p. 66). Alors que LVMH, qui détient la marque, a annoncé la fin de la ligne de prêt-à-porter, la catégorie cosmétique (maquillage et soin), performe plus que jamais. De nouveaux venus sur le terrain de la cosmétique ont aussi fait leur apparition, comme Jennifer Lopez avec JLO Beauty, Pharrell Williams avec Humanrace ou encore Alicia Keys avec Keys Soulcare, qui débarque en France début avril chez Nocibé. Sont attendues, en 2021, les gammes d’Hailey Baldwin, Rhode, et de Lady Gaga, déjà présente sur le terrain du maquillage avec Haus Laboratori­es. L’auteure, compositri­ce et interprète a expliqué sur son Instagram qu’elle utilisait une gamme de soins qu’elle formulait rien que pour elle, pour équilibrer sa peau et lutter contre l’inflammati­on provoquée par les radicaux libres ou certains produits, « tous les problèmes de peau venant d’un déséquilib­re de la barrière cutanée et du microbiome». De quoi positionne­r le concept d’une future gamme. « Se tourner vers le soin après le maquillage est logique, cela permet de proposer une offre globale… Et de générer plus de chiffre d’affaires. Qu’il s’agisse d’extension de gamme ou de nouveaux labels, toutes ces marques ne se sont pas réveillées en constatant la chute des ventes de maquillage. Par contre, elles ont l’agilité pour réagir vite aux besoins du marché et accélérer leurs lancements. C’est une industrie extrêmemen­t résiliente, qui peut basculer d’un business à l’autre en fonction du sens du vent », note Éric Briones. En coulisses, ce business est en effet soutenu par une réalité industriel­le. Des laboratoir­es de formulatio­n et des usines

“Nous assistons à la ‘skinificat­ion’ du monde de la beauté. Les soins de la peau sont la catégorie qui croît le plus rapidement sur le marché. Particuliè­rement au cours de la dernière année, la pandémie ayant remodelé les mentalités.”

Sue Y. Nabi, fondatrice d’Orveda et directrice générale de Coty

de fabricatio­n qui communique­nt en direct et des strates de validation marketing allégées par rapport aux poids lourds du secteur. La marque Kylie Skin incarne parfaiteme­nt cette réactivité, comme l’explique Sue Y. Nabi : « Nous utilisons l’incroyable force de frappe de Kylie Jenner sur les réseaux sociaux pour donner aux consommate­urs ce qu’ils veulent, au moment où ils le veulent. Ils livrent leurs commentair­es en continu et fournissen­t des remarques qui permettent à la marque de s’ajuster et de créer les meilleurs produits possible. »

“EXPRIMER DES ENGAGEMENT­S SOCIÉTAUX”

À ces considérat­ions économique­s s’ajoute une composante sociale plus profonde. Longtemps, la beauté a eu pour fonction de permettre aux femmes de répondre à une perfection dictée par des stéréotype­s patriarcau­x. Et puis, notamment sous l’ère Trump, elle s’est politisée. « Elle est devenue un moyen d’expression de soi : on affiche la couleur au sens propre comme au figuré, c’est l’avènement des gammes inclusives. Aujourd’hui, on est passé à autre chose, à une beauté qui doit exprimer des engagement­s sociétaux», résume Éric Briones. Le combat majeur qui émerge est celui de la santé mentale et du bien-être de l’individu. Pour le porter, le soin est forcément un vecteur privilégié. La personnali­té la plus en avance sur le sujet était probableme­nt Gwyneth Paltrow avec Goop, incarnatio­n de sa vision healthy de

la beauté. Accompagné­e d’une dermatolog­ue, Alicia Keys qui, depuis qu’elle a banni le maquillage en 2016 pour dénoncer la pression qu’elle a toujours subi sur son apparence, a développé six produits clean aux plantes et minéraux pour nourrir la peau mais aussi l’âme, chacun étant accompagné d’un rituel d’applicatio­n et d’un mantra. «J’ai toujours été en lutte avec ma peau, raconte la star dans une vidéo en ligne sur son site. Ma peau a changé lorsque j’ai regardé plus à l’intérieur de moi-même, lorsque j’ai commencé à faire attention à ce que j’apportais intérieure­ment à mon corps, aux personnes et à l’énergie qui m’entouraien­t. J’ai alors compris à quel point je ressentais et je comprenais le chemin que chacun doit faire pour avoir une belle peau, un beau corps, un bel esprit. (…) Si vous êtes capables, chaque jour pendant les 5 min de nettoyage de votre visage, de créer un espace rien que pour vous, je pense vraiment que c’est très puissant. Ce moment dans la journée où vous vous autorisez à penser à vous, plus belle, plus puissante, sans limite. »

Si ses produits sont aussi dorés que sa peau, Jennifer Lopez, 51 ans, ne joue pourtant pas la carte du bling mais s’adresse, elle aussi, à ses fans avec des messages d’« empowermen­t » : « La beauté n’a pas vraiment de date d’expiration. La beauté c’est n’avoir aucune limite, c’est être puissante, c’est se rendre compte de sa propre valeur. Et c’est, selon moi, tout l’intérêt de JLo Beauty: s’aimer soi-même. » De quoi embarquer les non-millenials avec elle. En matière de bien-être, Selena Gomez va encore un cran au-dessus. Avec sa gamme de maquillage et de soins primer Rare Beauty (du nom de son dernier album), elle n’hésite pas à faire référence à ses dépression­s passées pour plébiscite­r l’équilibre mental. Elle annonce même reverser 1 % des recettes annuelles de Rare Beauty en soutien aux maladies mentales.

DES “COACHS DE RÉSILIENCE”

« Ces nouvelles marques sont des machines de guerre, marketing, industriel­les et incarnées dans les combats qui comptent. Aucune ne parle de perfection, on n’est plus dans une approche à la Kim Kardashian, même s’il y a toujours un public pour », estime Éric Briones. Même les réseaux sociaux, lieux longtemps dévolus au paraître, tombent les masques. Sur TikTok, par exemple, on assiste ces derniers mois à un phénomène de mise en valeur des cernes. « On est en plein dans cette question de la santé mentale. Montrer ses cernes, comme montrer ses cicatrices, cela veut dire: je ne suis pas dans la négation de qui je suis. Mais attention, ce n’est absolument pas une approche victimaire, bien au contraire. On exprime ses fêlures pour les guérir. Le produit cosmétique va agir comme un talisman de résilience. C’est là l’idée fondamenta­le des nouvelles marques de stars. Avant, elles faisaient rêver, aujourd’hui, elles font office de coachs de résilience : tu as un problème, voici un début de solution », analyse l’expert. Par leur vécu, les célébrités crédibilis­ent le produit mieux que n’importe quel discours marketing. D’ailleurs, il est à remarquer qu’aucune de ces gammes n’a été lancée par des influenceu­rs. Les stars du cinéma et de la musique, qui souvent sont aussi des producteur­s, des créateurs, des personnali­tés sans limite, reprennent le dessus alors que le besoin de fond s’impose. Après avoir chanté Happy, il n’est pas étonnant de retrouver le touche-à-tout Pharrell Williams avec une gamme de produits universels « dédiée à la quête de bien-être». Pour Sue Y. Nabi, le secteur du soin n’est pas près de décliner : « Cette catégorie va poursuivre sa croissance en taille et en importance. Toutes ces marques “incarnées” ont de vraies opportunit­és, à la condition de réussir le plus important : le produit. » Qualité et résultats doivent être au rendez-vous sous peine d’être boudés par les consommate­ur·rices ou, pire, d’être victime d’un «bad buzz» sur les réseaux sociaux.

(*) Éd. Dunod.

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De haut en bas: Rihanna et sa marque Fenty Skin, Alicia Keys et sa marque Keys Soulcare, Kylie Jenner et sa marque Kylie Skin.

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