Marie Claire

Féministe ta mère

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Chaque mois, la journalist­e Giulia Foïs s’attaque à un stéréotype qui colle à la peau du mouvement #MeToo. Et, parfois, au cerveau de sa mère, pourtant bien constitué.

«Avec ma mère, mieux vaut ne pas chercher ses mots. Principale­ment parce qu’elle les trouve à votre place. Mon neveu tentait un timide : “Giu, vu que t’es une féministe très… Euh…” Géniale? Sympa? Belle? Je ne saurai jamais. Entre-temps, ma mère a conclu : “Dure.” Non, je ne suis pas dure, maman. Sinon, il y aurait du looping d’assiettes à chaque repas de famille depuis #MeToo. Mais la plupart du temps, je me tais. Et je vous laisse m’expliquer l’affaire Polanski, conspuer toutes les Alice Coffin que vous n’avez jamais lues et dire que les féministes veulent “interdire la pénétratio­n” et rendre “obligatoir­e la prononciat­ion du point médian”. “Mais tu vois comment t’es ? On peut même pas débattre”, a protesté ma mère. Mais débattre de quoi, au juste? Pour ou contre le vote des femmes? Le viol? Car c’est bien de cela dont il s’agit : considérer (ou pas) que les femmes aient le droit de s’exprimer, ne serait-ce que pour rappeler que leur corps leur appartient. Le féminisme est une vision du monde, un projet politique, une révolution de la pensée. C’est comprendre que ce qui nous a été vendu jusqu’ici comme “universel” était une arnaque, destinée à graver dans le marbre les droits d’une moitié de l’humanité sur l’autre. Que cette domination est si ancrée qu’on serait tenté de l’ignorer, alors qu’elle s’infiltre partout, jusque dans nos signes de ponctuatio­n. Que commencer à relever l’un de ces déséquilib­res, c’est voir, un jour, tous les autres. Et le lendemain, vouloir renverser la table. Alors oui, c’est dur. Au sens de “difficile”. Parce que colossal. Mais je te jure que ça vaut le coup, maman. Et que tes assiettes sont belles.»

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