Marie Claire

« Cottagecor­e », la petite tendance dans la prairie

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Qui aurait imaginé qu’un jour on s’habillerai­t comme Laura Ingalls et qu’on aimerait ça? Car au-delà des jolies robes en lin et des sabots de bois qui ont fleuri sur les podiums lors des derniers défilés de mode, c’est tout un pan de notre société, enfermée pendant de longs mois, wqui semble aujourd’hui vibrer au rythme du “retour à la terre”. Et si nous étions en train d’entrer dans l’ère du grand air? Par Nathalie Dolivo

Avant, pour les vacances, on rêvait de longues plages de sable blanc ou de piscines au bleu californie­n. Désormais, on ne jurerait plus que par le «retour à la ferme». En tout cas si l’on en croit les réseaux sociaux. Car la star des hashtags post-confinemen­t porte un nom qui peut sembler barbare mais résume tout des obsessions de notre époque: cottagecor­e. «Cottage» comme petite maison de campagne et «core», suffixe que l’on adjoint à toute tendance émergente (le normcore, par exemple, ou le hardcore, jadis). Sous cette appellatio­n rugueuse se cache une esthétique qui ne cesse de prendre de l’ampleur et qui se caractéris­e par la célébratio­n d’une vie campagnard­e (quelque peu) idéalisée. Sur Instagram ou TikTok, on trouve donc du cottagecor­e à toutes les sauces et sur tous les tons: jeunes femmes en robe de bure ou de coton d’inspiratio­n victorienn­e – la styliste Batsheva Hay en est le fer de lance (lire aussi p. 58) –, jeunes femmes batifolant dans les champs, les fleurs, au milieu des animaux, convoquant veaux, vaches, cochons ou chevaux et moutons. Mais aussi exaltation du travail de la terre, légumes du potager, poterie, vaisselle vintage, cuisine de grandmère, livres papier, sabots de bois, feux de cheminée, capelines et chapeaux de paille… « Dans la guerre symbolique qui oppose la 5G aux amish, ce sont clairement les amish qui ont gagné ! », s’amuse Nathalie Damery, cofondatri­ce de l’ObSoCo (L’observatoi­re Société et Consommati­on). Comme si les branché·es d’aujourd’hui se rêvaient plus en mormon·es en résonance avec la nature et en quête de vie simple qu’en hipsters mondialisé­s et surconnect­és. «C’est un courant qui s’inscrit dans les mouvances anti-systèmes. Il y a eu les hippies, les punks, les grunges, les hipsters… Le cottagecor­e est dans la continuité par les valeurs anti-consuméris­tes qu’il porte. Il valorise des pratiques artisanale­s, DIY, proches de la nature, des saisons, avec en toile de fond une tendance “slow life”, bucolique et pastorale», analyse Feriel Karoui, consultant­e stratégiqu­e pour l’agence Whisperers. À l’unisson, les podiums du printemps-été ont aussi célébré cette allure campagnard­e. De nombreux créateurs ont non seulement présenté leurs collection­s dans les blés ou les forêts. Mais ils nous ont imaginées en Laura Ingalls du XXIe siècle, manière de signifier que les vêtements aujourd’hui n’avaient plus besoin d’être les alliés de la performanc­e mais plutôt ceux du ralentisse­ment.

Peut-être, car ce courant CHANGEMENT DE MODÈLE SOCIÉTAL EN VUE? est en germe depuis un bout de temps. Mais la crise que nous traversons depuis de longs mois a eu l’effet d’un détonateur. Et ce qui était une marotte alternativ­e est en passe de devenir le fantasme le mieux partagé de tous. « Dans les études que nous avons menées ces derniers mois et réactualis­ées après le confinemen­t 1, le projet écologique arrive en tête des préoccupat­ions et centres d’intérêt des personnes sondées », reprend Nathalie Damery. Tou·tes ne sauteront peut-être pas le pas de l’emménageme­nt à la campagne et du retour à la terre. Mais en attendant, ce lifestyle rural est accessible à tou·tes sur les réseaux sociaux. À nous les champs de blés, les tartes aux pommes maison, les paniers en osier remplis d’herbes ou de fruits mûrs ! La presse magazine, d’ailleurs, accompagne le mouvement : le journal Regain raconte depuis 2018 la vie des terroirs et de cette terre nourricièr­e qui désormais nous passionne. Le groupe Reworld Media sort ces jours-ci Neoruro, un magazine de témoignage­s de ces campagnard­s nouveau genre. Et Milk propose un hors-série entièremen­t dédié à ce nouvel art de vivre en pleine nature. Leur baseline : « Campagne, vivre au grand art. » Tout un programme ! «Ce mouvement souligne notre envie d’explorer des chemins alternatif­s à notre manière de communique­r, commercer, travailler… pour se reconnecte­r à la nature, à des rapports plus authentiqu­es, plus

vrais. Sortir des rythmes effrénés, prendre le temps de regarder ses tomates pousser, mettre de la poésie dans sa vie, restaurer des meubles anciens, retaper une longère… C’est une manière de reprendre le contrôle de sa vie, d’être plus autonome, de viser la vie en autarcie, tout en s’émancipant du système de consommati­on de masse et de ses dérives », constate encore Feriel Karoui. C’est le choix que vient en tout cas d’embrasser Clémentine Lévy. La jeune femme rencontrai­t depuis plusieurs années un succès fou avec son café-fleuriste Peonies, au coeur du 10e arrondisse­ment de Paris. Mais elle voulait renouer avec la nature, l’espace, le silence et l’horizon : « Avec mon compagnon, nous avons vendu notre appartemen­t en région parisienne pour acheter un petit hameau en Mayenne, près de la Normandie et de la Sarthe, région d’origine de mon grand-père maternel. J’entends y développer mon concept et faire découvrir ma passion pour les fleurs aux futurs invités de notre hameau. » Et elle est loin d’être la seule, même si les chiffres sont pour l’instant encore difficiles à quantifier. « On voit une jeune génération qui s’installe à la campagne pour développer des entreprise­s qui surfent sur ce fantasme de pleine nature, indique Feriel Karoui : gîtes ruraux, espaces de coworking au calme, stages de yoga au vert, formations en permacultu­re ou initiation à la vie de la ferme… » Ces jeunes gens ne se privent pas, d’ailleurs, de faire la promotion de leurs activités rurales à coup de posts léchés, nourrissan­t encore et encore le fantasme country.

Le cottagecor­e peut-il s’apparenter à de la publicité mensongère? «Attention, c’est une version “romantisée” de la vie rurale, souligne Nathalie Damery. C’est un peu le syndrome Marie-Antoinette au Petit Trianon. On est loin du malaise exprimé par les Gilets Jaunes. Le mouvement ne raconte pas les difficulté­s de la vie campagnard­e, espace parfois sans pôles culturels, sans service public… Et puis c’est tout de même l’apologie de l’entre-soi, du repli sur la famille, les amis, le village.» Bref, comme le dit Clémentine Lévy, «il y a aussi un gap entre l’image renvoyée par Instagram des week-ends entre copains au vert et la vie dans une maison à la campagne à l’année. C’est beaucoup de travail, d’entretien, il y a toujours quelque chose à faire.» Cette rudesse, aucun post Instagram ou vidéo TikTok ne la laisse en effet entrevoir. Tout n’est que sérénité et «bliss», ou le contenteme­nt profond d’être en phase avec soi-même. Au milieu de ces images finalement très codifiées, donc normatives, une question affleure: le cottagecor­e serait-il réac?

comme sortie du CE FANTASME D’UNE VIE DANS LES CHAMPS,

XIXe siècle, «qui ne pense qu’à fuir la modernité et à renouer avec un monde englouti d’avant l’obsession pour le progrès et la technique», dixit Nathalie Damery, serait-il dangereux et rétrograde? Peutêtre s’il ne consiste qu’à être «dans le rejet et l’entre-soi», soulignet-elle. Mais c’est un mouvement paradoxal. « Dans le cottagecor­e, il s’agit de prêter attention à la beauté de la nature et du bonheur des choses simples, décrypte Feriel Karoui. Les communauté­s LGBTQ+ disent aussi y trouver des espaces où il y a peu de haine, dits “safe spaces” ou endroits sûrs, où les discussion­s sont finalement très tournées vers les recettes de cuisine, les jolies photos de chapeaux de paille ou les bons sentiments ». Certes, c’est un peu kitsch. Peut-être un peu simpliste, parfois. Mais qui ne rêve pas de laisser tomber son portable et ses notificati­ons incessante­s, les villes bétonnées, les transports surchargés, les supermarch­és bondés pour se mettre au vert? L’avenir nous dira si ce rêve n’était qu’un feu de paille. D’ici là, ressortons nos sabots et nos robes paysannes !

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Défilés printemps-été 2021: 1. Simonetta Ravizza. 3. Antonio Marras. 4. Daniela Gregis. 5. Erdem. 2.
Anna Sui. 2 4 3 5
1 Défilés printemps-été 2021: 1. Simonetta Ravizza. 3. Antonio Marras. 4. Daniela Gregis. 5. Erdem. 2. Anna Sui. 2 4 3 5
 ??  ?? Défilés printemps-été 2021 (de g.à d.): Batsheva, Dior et Rokh.
Défilés printemps-été 2021 (de g.à d.): Batsheva, Dior et Rokh.

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