«Mon souvenir le plus lumineux est lié à la silice de quartz»
Chaque mois, la floricultrice Masami Charlotte Lavault partage un enseignement de son jardin parisien*, situé au coeur de Belleville. En juin, elle se souvient de ses premières expériences de la biodynamie quand, au jour du solstice, on stimule les plantes avec cette “poudre d’été”.
« Il y a huit ans, en plein hiver, j’ai décidé sur un coup de tête – une tête alourdie par des milliers d’heures d’écran – de partir travailler dans des fermes. Je n’y connaissais rien, j’étais designer industriel, je n’avais jamais eu aucun contact avec le monde rural, j’avais vécu toute ma vie dans des capitales. La première ferme qui a bien voulu de mes mains inexpérimentées était au Maroc, au pied de l’Atlas : un lieu intense, que j’ai découvert au moment de la floraison des bigaradiers et quitté à la nouaison des oliviers. Une terre accablée de soleil, barrée par les oueds, cultivée en biodynamie. Un souvenir très fort du temps si particulier passé là-bas, c’était la vision étrange de centaines de cornes de vache, posées à sécher sur un toit plat. L’équinoxe de printemps approchait, elles allaient servir à l’élaboration d’une préparation biodynamique essentielle, appelée “silice de corne”, destinée à renforcer la vigueur des plantes: du quartz broyé en poudre fine, mêlé à de l’eau jusqu’à former une pâte, versée dans ces cornes de vache. Les cornes seraient alors enfouies sous terre, exposées pendant six mois à l’activité du sol chauffé par le soleil et déterrées à l’équinoxe d’automne. Je ne suis pas restée assez longtemps dans cette ferme pour assister à l’excavation des cornes, car j’ai poussé mon voyage agricole vers l’Angleterre, dans une autre ferme biodynamique. Là-bas, mon souvenir le plus lumineux est aussi lié à cette silice de corne. Le matin du solstice d’été, nous nous sommes levé·es avant le soleil, vers 4h30, “at sparrow fart” – en argot britannique, l’heure où les moineaux pètent ! Nous avons versé une pointe de couteau de préparat de silice dans un grand tonneau rempli d’eau douce. Pendant une heure, nous avons brassé à deux, à tour de rôle, pour dynamiser la préparation, mélanger intimement la silice à l’eau. Il fallait plonger son bras dans l’eau froide, tourner dans un sens pour créer un profond vortex qui laisse voir le fond du tonneau, puis changer de sens pour créer un chaos, jusqu’à retrouver l’harmonie du tourbillon et ainsi de suite… Quand le ciel a eu fini de rosir, nous avons versé notre eau vive dans un pulvérisateur et nous nous en sommes allé·es à travers champ, à travers ferme, pour faire profiter tous les êtres qui y vivaient des bienfaits de cette cristalline poudre d’été. »
(*) pleinair.paris