Marie Claire

DÉLAI LÉGAL DE L’IVG, POURQUOI ÇA BLOQUE ?

- Par Catherine Durand

Les Français·es y étaient largement favorables et la loi avait été votée en première lecture à l’Assemblée. Il faudra pourtant attendre pour que le délai légal pour une IVG passe de douze à quatorze semaines, dans un contexte national et européen toujours plus menacé par les lobbies anti-choix. Enquête.

“EH BIEN VOUS, IL N’Y A QUE LA MAISON DES Combien FEMMES QUI VA VOUS ACCEPTER!” sont-elles, ces femmes laissées sans solution parce qu’elles ont dépassé le délai légal de douze semaines de grossesse ? Faute de moyens, elles ne pourront pas aller avorter comme trois à cinq mille Françaises chaque année, en Angleterre ou aux Pays-Bas où l’IVG se pratique jusqu’à vingt-deux semaines. Certaines se précipiten­t donc à la Maison des Femmes à Saint-Denis, fondée par la gynécologu­e obstétrici­enne Ghada Hatem. Cette dernière n’a pas de statistiqu­es mais une logistique éprouvée: «Je suis obligée d’activer le dispositif“avortement pour motifmé dico psychosoci­al ”. J’ai heureuseme­nt mis en place une organisati­on pour le faire en trois jours, quand d’autres structures

mettent trois semaines, ce qui est inacceptab­le. Ces femmes viennent parfois de loin, sans rendez-vous et chaque jour compte, on y arrive en bossant la nuit s’il le faut, mais le mieux serait de se partager le boulot!» Ghada Hatem avoue être dépitée après s’être mobilisée pendant plus d’un an avec des médecins, des politiques, des militantes du Planning familial pour allonger le délai légal de l’IVG de deux semaines face aux aléas de la crise sanitaire. « J’espère qu’Olivier Véran et d’autres seront un peu courageux et feront des propositio­ns qui ont du sens… » Si le 8 octobre 2020, les parlementa­ires ont voté en première lecture en faveur de l’allongemen­t du délai légal sur fond de débats houleux, le 17 février dernier, en deuxième lecture, ils ont manqué singulière­ment de courage : le groupe socialiste a retiré la propositio­n de loi d’Albane Gaillot, députée du Val-de-Marne (ex-LREM, sans étiquette) face aux 423 amendement­s dé posés parla droite. «Depuis nous sommes en stand-by, déplore la députée. J’en appelle à la responsabi­lité du gouverneme­nt pour se saisir de ce sujet comme il l’a fait pour la propositio­n de loi sécurité globale jugée prioritair­e. La santé des femmes est prioritair­e, l’avortement aussi. L’opinion publique est favorable à l’allongemen­t des délais, alors allons-y!» Selon un récent sondage (2), 93 % des Français·es sont attaché·es au droit à l’avortement, et 88 % soutiennen­t l’allongemen­t du délai à quatorze semaines. «Il faut vraiment marteler que ces grossesses en dépassemen­t de délai ne sont que des grossesses à problèmes, ce ne sont jamais des petites-bourgeoise­s qui avortent pour partir en vacances aux Seychelles. Quand une femme est en galère, la réponse n’est pas de lui appuyer sur la tête pour qu’elle se noie », dénonce Ghada Hatem, que les atermoieme­nts des politiques, sensibles aux pressions d’une frange d’électeurs d’extrême droite, exaspèrent.

CES ANTI-CHOIX ONT HÉLAS DES APPUIS au sein même du Parlement européen. Comme le réseau Agenda Europe, dont le manifeste « Restaurer l’ordre naturel », publié en 2018, ne fait pas mystère de ses objectifs. « Organisés avec des moyens et différente­s stratégies selon les pays, ils s’attaquent au droit à l’avortement, à la contracept­ion, à l’euthanasie, au divorce et aux droits des personnes LGBTI, analyse Véronique Séhier, membre du groupe internatio­nal au Planning familial. Ils ont bien manoeuvré en Pologne, qui projette de se retirer de la Convention d’Istanbul. On y parle d’égalité et de genre, c’est incompatib­le avec leur projet de contrôler le corps et la sexualité des femmes.»

L’heure est donc à la mobilisati­on des féministes sur le continent. En France, où l’on vient de célébrer en fanfare les 50 ans du «Manifeste des 343», «le gouverneme­nt a hélas fait de l’allongemen­t du délai de l’IVG un problème sanitaire conjonctur­el et non structurel. Aux candidats à la présidenti­elle d’en faire un engagement », exhorte Albane Gaillot.

1. Pétition sur http://chng.it/V6JDy8wFSL. Contact : 0800 08 11 11. 2. Kantar Public pour la Fondation des femmes et la Mutuelle générale de l’Éducation nationale.

• LE MANIFESTE DES SOIGNANT.ES QUI S’ENGAGENT POUR DES IVG À 14 SEMAINES, À DÉCOUVRIR SUR MARIECLAIR­E.FR

 ??  ?? Manifestat­ion pour le droit à l’avortement, à Toulouse, le 28 septembre 2019.
Manifestat­ion pour le droit à l’avortement, à Toulouse, le 28 septembre 2019.

Newspapers in French

Newspapers from France