Marie Claire

Après minuit avec Pomme

- Par Fabrice Gaignault Photos Paloma Pineda

Primée deux années de suite aux Victoires de la Musique, la jeune chanteuse, auteure et compositri­ce, plus étoile que comète, semble vouloir s’installer durablemen­t dans notre ciel. Où sa douce mélancolie et ses mélodies entêtantes accrochent des guirlandes qui illuminent nos quotidiens sur Les failles cachées*, son nouvel album. Rencontre nocturne dans son studio d’enregistre­ment.

Une voix, sonore et claire, qui précède la rencontre. Pomme parle avec sa maquilleus­e, dans une pièce du studio Ferber, là où elle nous a donné rendez-vous, à quelques pas de chez elle dans ce coin tranquille du 20e arrondisse­ment de Paris. Ce studio où la chanteuse a enregistré en cinq jours Les failles cachées, son nouvel album. Pomme parle beaucoup et c’est un avantage que mesure sournoisem­ent celui qui l’interviewe­ra dans quelques instants. Et pourtant, ce n’est pas vraiment l’heure rêvée pour cette jeune femme de bientôt 25 ans récompensé­e aux deux dernières Victoires de la Musique. Pomme (Claire Pommet à l’État civil) est une couche-tôt qui est déconcerté­e de dérouler sa vie à minuit. Une vie à peine effleurée, et déjà la célébrité, et déjà tant de choses vécues… La jeune femme s’installe derrière la table de mixage plus complexe que le tableau de bord de SpaceX Dragon. Comment font les ingénieurs du son pour s’y retrouver au milieu de ces centaines de boutons? Allo, Thomas Pesquet? Bonjour Pomme! Descriptio­n: chemise blanche aux transparen­ces poétiques, pantalon noir avec grosse boucle de ceinturon Chipie à silhouette canine – Chipie, la marque de son enfance, clin d’oeil à son amour des chiens, en particulie­r de son golden femelle nommé Pizzaghett­i, en hommage à une spécialité québécoise peu light. Pizzaghett­i manque à sa maîtresse parisienne: celle-ci patiente à Montréal auprès de la femme de Pomme, la chanteuse Safia Nolin, épousée «en petit comité pendant le Covid».

Pomme a les cheveux bicolores mais sa parole ne s’embarrasse pas de demi-teintes. Franche, droite au but, sans beaucoup d’atermoieme­nts, et où s’entend l’extrême maturité de la jeune femme. Loquace,

on l’a dit, au point parfois de se perdre dans les méandres de son fleuve de mots, Pomme virevolte de questions en réponses, mi-lutin mi-humaine, comme elle aime se définir sur son compte Instagram, sur le chemin de ses songes et de ses fantômes, à l’image de ceux qui s’agitent, en compagnie d’araignées et de chauves-souris sur la pochette de son nouvel album. «J’ai toujours été fascinée par la sorcelleri­e, en commençant avec la série Charmed dans les années 2000, puis Harry Potter. J’ai voulu que cet album soit associé à Halloween pour m’en rapprocher, creuser cette culture. Il est beaucoup question de la mort dedans. J’ai besoin d’écrire sur ce sujet pour avoir l’illusion de le contrôler. Je le faisais déjà quand j’avais 17 ans. Dans Pourquoi la mort te fait peur, j’utilise des images qui me permettent d’entourloup­er mon cerveau et combler cette impossibil­ité de concevoir ce que l’au-delà peut être. Difficile pour moi d’ignorer ce qui m’arrivera après ma fin. Dans ma génération, nous n’aimons pas perdre le contrôle, sauf quand on fait la fête.»

La mort? Étrange d’en parler, car l’album est plutôt lumineux comme si chez cette petite jeune femme menue, la mélancolie n’était pas constituée de tristesse ou de chagrin, mais exprimait au contraire une façon d’entrevoir d’autres possibilit­és de sensations à la sereine légèreté. Après tout, n’est-ce pas l’alternance de la lumière et de l’ombre qui donne son sens à la vie ? «Certaines chansons parlent d’endroits qui n’existent pas mais qui sont apaisants. Cet album était une manière de trouver un endroit mental où rien n’est grave. Je voulais dépouiller de toute lourdeur les sujets les plus sombres comme la santé mentale. En France, on ne parle pas de ce sujet de manière positive, on n’en parle même pas, d’ailleurs. Prendre des antidépres­seurs reste un sujet extrêmemen­t tabou et pourtant, je découvre tous les jours que des ami·es de mes parents sont bipolaires ou dépressifs. Je voulais créer un espace où tout cela ne serait plus un secret. La musique me fait du bien et je me dis que si d’autres personnes sur cette Terre me ressemblen­t, ça leur fera du bien aussi.»

Un jour, Pomme a déclaré : « Je ne sais pas ce que j’aurais fait avec ma colère si je n’avais pas chanté.» Colère d’avoir été agressée sexuelleme­nt toute jeune. Mais aussi manière d’expulser toutes sortes d’émotions ressenties. Dès l’âge de 15 ans, elle a choisi: elle sera chanteuse, sinon prof d’anglais en France ou prof de français dans un pays anglophone. Ou encore herboriste, «la sorcelleri­e du XXIe siècle». Ses parents sont un peu inquiets mais ne le montrent pas. « Pourtant, mon père était très strict. Je vivais dans la banlieue de Lyon. À l’adolescenc­e, comme il n’y avait pas de transports en commun, je n’allais pas dans des soirées. Et si j’y allais, mon père devait venir me chercher: je ne pouvais donc pas boire ou fumer et je n’y ai jamais pris goût. J’étais un peu obligée d’être sage. Je n’ai jamais dépassé les limites et mes parents me faisaient confiance.» Fan de Tiger king, la série docu complèteme­nt secouée sur de pittoresqu­es propriétai­res de zoos américains, Pomme l’est aussi de Dolly Parton, la diva country aux choucroute­s peroxydées munificent­es et aux canons esthétique­s quelque peu éloignés de ceux de sa sobre admiratric­e, et pourtant, Pomme en est sûre: « Si l’on se rencontrai­t, on s’entendrait bien. Dolly est féministe à sa manière: dans les années 70, elle parlait de sexualité très librement sur scène. Je lui ai écrit sur Instagram pour lui dire “Je t’aime” mais elle ne m’a jamais répondu. Il y a quelques années, j’ai fait une tournée dans son ancien tour-bus. La seule fois où j’ai été si proche physiqueme­nt de Dolly: j’ai même dormi dans son lit, ça s’est arrêté là.» (Rires.) Pomme et Dolly… Pomme et Safia, la femme aimée. Pomme et ses moitiés d’orange. « Je ne suis jamais allée dans les médias clamer le fait que je suis lesbienne, mes chansons racontent la personne que je suis, sans rien cacher. Si je vis une histoire d’amour avec une femme, je vais écrire là-dessus. Il s’avère que peu de chanteuses homosexuel­les l’ont fait avant moi. Le risque, c’est d’être cataloguée militante au point qu’on mette la musique de côté. J’ai hâte que l’orientatio­n sexuelle ne soit plus un sujet pour personne. Et je pense d’ailleurs que bientôt, ce sera le cas. » Il est tard, maintenant, la fatigue se lit sur les visages et le studio Ferber voudrait bien aller se coucher lui aussi. Pomme se lève, salue à la cantonade et s’évanouit dans la nuit. Elle a rendez-vous avec la Lune, le marchand de sable, sa collection de Sonny Angels, ces petits bébés japonais qu’elle surnomme « bébés zizis ». Et bien sûr, les lutins chéris auxquels n’a jamais cessé de croire cette petite fée aux failles enchantées.

(*) (Polydor/Universal). À l’Olympia les 13, 14 et 15 septembre. En tournée en France à partir de cet été.

“Si je vis une histoire d’amour avec une femme, je vais écrire là-dessus. (…) Le risque, c’est d’être cataloguée militante au point qu’on mette la musique de côté. J’ai hâte que l’orientatio­n sexuelle ne soit plus un sujet pour personne.”

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