Marie Claire

Féministe ta mère

Chaque mois, la journalist­e Giulia Foïs s’attaque à un stéréotype qui colle à la peau du mouvement #MeToo. Et, parfois, au cerveau de sa mère, pourtant bien constitué.

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«Delphine est drôle. Et puis elle est intelligen­te, engagée, singulière. Ma mère l’a adorée. À un détail près, qui la chiffonnai­t: “Elle a un fiancé, Delphine ?” Ma réponse, négative, la plongea dans des abîmes de perplexité, dont elle sortit néanmoins triomphale­ment : “C’est parce que les femmes, maintenant, font peur aux hommes !” Hmmm… “Maintenant”… Qu’on gagne notre vie, sans leur demander l’autorisati­on? Qu’on a le droit de vote et, accessoire­ment, celui de penser par nous-mêmes? Qu’aujourd’hui, on sait faire un créneau toutes seules et que demain, peut-être, on fera aussi des bébés toutes seules? Oh mon dieu! Est-ce à dire qu’à terme, nous pourrions nous passer d’eux? Mais alors, le sexe faible, ce ne serait pas nous? Argh! Oui. Et tout le monde le sait. Et depuis la nuit des temps. Face à la mystérieus­e puissance procréatri­ce des femmes, les hommes n’ont eu d’autre réflexe que de nous mettre sous cloche. Or, à chaque fois qu’on a essayé de la soulever, la cloche, c’est leur fragilité qu’on a brandie. L’homme se sentait menacé, toute la civilisati­on allait sombrer, les femmes étaient sommées de la boucler. Au prix d’un mensonge éhonté (nous, Jane faibles/vous, Tarzan forts), le monde retrouvait son équilibre. Jusqu’à la prochaine. Jusqu’à aujourd’hui. Aujourd’hui, les femmes en ont marre de s’excuser, de protéger, de rassurer. S’ils déconnent, elles se barrent. Et s’ils abusent, elles balancent. C’est effrayant ? C’est pas plus mal. Si #MeToo conduit ceux qu’on aime à s’interroger, et peut-être pour la première fois, sur ce qu’est l’identité masculine, sur ce qu’elle comporte de violence apprise, comme de fragilité intrinsèqu­e… tant mieux. La meilleure nouvelle serait que ceux qu’on aime moins prennent peur: d’être dénoncés, arrêtés, condamnés. Que ceux qui agressent, harcèlent, violent, aient tout à coup la trouille de passer à l’acte. Vu le nombre dérisoire de condamnati­ons, on en est loin. Alors en attendant, on peut juste se souvenir que le féminisme n’a jamais tué personne, quand le machisme, lui, tue tous les jours. Ma mère a ajouté : “En même temps, ils sont complèteme­nt cons: c’est chouette, une femme indépendan­te.” Et on pouvait le dire comme ça aussi. »

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