Daniel Roseberry
Vous travaillez depuis maintenant deux ans chez Schiaparelli. Comment vous sentez-vous au sein de la maison, après cette année si particulière ?
Je suis encore au début de mon aventure chez Schiaparelli. Certains créateurs ont exprimé la frustration de ne pas se sentir productifs… Pour ma part, ce que je voulais faire était si clair dans ma tête que je me suis senti très inspiré. Durant les confinements successifs, j’ai pu rester concentré. Actuellement, je suis chez moi, je travaille sur la prochaine collection et c’est assez agréable d’être loin des bureaux. Je suis zen. J’ai aussi beaucoup d’espoir pour les mois à venir, j’espère que nous allons pouvoir commencer à tourner une nouvelle page.
Elsa Schiaparelli exprimait beaucoup de créativité au travers de ses accessoires. Sont-ils aussi pour vous un terrain de jeu ?
Lorsque je pense au travail d’Elsa Schiaparelli, je ne pense pas à une silhouette iconique, comme c’est le cas pour Dior ou Chanel. Ces couturiers ont concentré tellement d’attention sur les silhouettes. Elsa s’intéressait plus aux tendances, aux objets, aux idées… Faire des vêtements n’était pas sa première priorité. Pour ma part, je suis plus divisé. J’aime jouer avec les accessoires mais j’aime tout autant travailler les volumes et les vêtements. Dans une maison qui a une histoire si riche, travailler sur les archives peut être un piège.
Êtes-vous dans une recherche de « l’intéressant » et pas simplement du « beau » ?
Oui, et c’est profondément libérateur. Elsa n’était pas une beauté classique. Je la trouve très belle mais elle n’était pas un archétype d’hyper-féminité. Je pense qu’elle se fichait de ressembler aux autres femmes. Par sa manière d’être, par ce qu’elle a exprimé tout au long de sa vie, elle m’invite à questionner ce qu’est la beauté, le genre et ce que la couture doit être. Entre les lignes, mon dernier défilé était rempli de ces interrogations. À J-2, je commençais à avoir une vision claire de l’ensemble du show et je me suis même dit : «C’est extrême! Les gens pourraient ne pas aimer du tout. » J’espère être dans cette position de doute à chaque fois.
Elsa Schiaparelli proposait une mode « hard chic » avec l’envie de choquer. Quelle est votre envie ?
Dans mon enfance, la mode m’a permis de créer un monde imaginaire dont j’étais la star. J’ai grandi à Dallas mais je rêvais de faire une école de mode à New York. Non pas pour faire des vêtements, mais pour créer des images. Ce que j’appelle
« images », c’est l’alchimie de tout un tas de choses : les mannequins, les robes, les décors… Aimer la mode a changé mon existence. Grâce à elle, j’ai pu rêver d’une vie totalement différente de celle à laquelle j’étais destiné. Je voudrais que mes créations puissent faire naître cette même émotion et pousser ceux qui l’apprécient à envisager différemment le cours de leur vie.