Marie Claire

La revanche du bronzage

- Par Claire Dhouailly Photo Mélissa De Araujo Stylisme Agathe Gire

Marqueur social, symbole d’un corps libéré, il est aussi diabolisé pour ses méfaits – vieillisse­ment cutané, risques de mélanome… Pourtant, si ces derniers sont bien réels, notre désir de hâle est plus fort que jamais en cet été de liberté retrouvée.

Au cours des longs mois qui viennent de s’écouler, les confinemen­ts successifs ont opposé deux camps : celui des personnes ayant bonne mine et celui des teints blafards n’ayant eu ni balcon, ni jardin, ni maison secondaire pour échapper à l’enfermemen­t et s’adonner au bain de soleil. Le contraste fut le plus criant au printemps 2020, lorsque même les parcs des villes étaient fermés. Ce constat, qui vaut essentiell­ement pour les citadin·es, a eu pour conséquenc­e de réinstalle­r le bronzage comme un marqueur social. « Il indique une rupture d’égalité, qui concerne aussi l’immunité car ne prendre ni l’air ni la lumière ne favorise pas une bonne résistance», note le philosophe du corps Bernard Andrieu, auteur de Bronzage. Une petite histoire du soleil et de la peau (1) et d’Histoire du sport-santé. Du naturisme à la médecine du bien-être (2). Longtemps, le hâle s’est accompagné de cette dimension sociale. Dans l’ouvrage L’invention du bronzage (3), l’historien Pascal Ory revient aux origines de cette mode, qu’il situe à la toute fin des années 1920, en s’appuyant notamment sur l’analyse des articles des magazines féminins de l’époque. Il écrit : « Le dépouillem­ent des trois titres significat­ifs de la presse féminine française des années 30 confirme (…) que le bronzage s’est imposé parmi les élites économique­s (la preuve par Vogue), avant de rallier un autre type d’élites, les classes moyennes moderniste­s (la preuve par Marie 188 Claire), et d’obliger l’arrière-garde sociale à suivre le mouvement, avec réticence (la preuve par Le Petit Écho de la Mode). (…) Dans l’ancien régime culturel, le faire-valoir des élites serait le paysan, hâlé par le travail en plein air ; dans la société nouvelle, plus urbaine, plus industriel­le, l’opposition se ferait par rapport à l’ouvrier et à l’employé, dont le teint profession­nel est à la pâleur. » L’essai, très riche, nous apprend que le bronzage est cependant bien plus qu’une façon d’affirmer son rang social. On y lit : « La fable du corps bronzé nous parle, au fond, d’un absolu de liberté : le temps et le lieu où l’être humain est enfin si “libre de ses mouvements” qu’il se rend maître de beaucoup plus fondamenta­l que de la terre, de la mer, des airs, de la propriété des biens de production ou du droit de vote : maître de son corps, auquel, pour commencer, il offre une seconde peau, renvoyant, du coup, la pâleur à l’univers de la contrainte, de la soumission. » Une analyse qui trouve un écho déroutant avec l’actualité et ses contrainte­s. «La période de restrictio­ns que l’on vient de traverser peut conduire à un désir transgress­if d’être bronzé », confirme Bernard Andrieu. Il est cependant peu probable que l’on renoue avec les excès des années 70 et 80, époque des exposition­s au soleil intensives et des peaux couleur teck.

DE LA PEAU TANNÉE AU HÂLE “BONNE MINE”

L’euphorie solaire des seventies a été plombée par l’avancée des connaissan­ces sur les dangers des UV pour la peau, en matière de cancer comme de vieillisse­ment. La peau immaculée qui était la norme avant le XXe siècle n’a, en Occident, pourtant jamais repris le dessus, sauf chez les actrices et les mannequins sur papier glacé. « Le bronzage n’a jamais disparu. C’est l’idée de bronzer de manière excessive, sans se protéger, qui est révolue et qui est aujourd’hui mal vue. Ce bronzage, de nos jours perçu comme dangereux, a laissé la place à l’idée d’un bronzage “écologique” », analyse Bernard Andrieu. Qui ne savoure pas les premiers rayons du printemps – et d’autant plus cette année – en s’installant en extérieur quelques minutes, le visage tourné vers le soleil pour prendre un « shoot » de lumière et de chaleur ? Qui n’apprécie pas pour ses vacances une destinatio­n ensoleillé­e qui recharge les batteries ? « Le soleil n’est plus recherché pour l’unique but de bronzer, il fait partie d’un tout : la nature, le plein air, la chaleur, l’énergie, détaille le philosophe. Pour les vacances, la campagne a aujourd’hui autant de succès que le bord de mer. Et lorsqu’on va à la plage, on n’y va plus dans l’unique but de s’allonger

sans bouger pour dorer. Cette approche plus énergétiqu­e qu’esthétique renoue avec le modèle des cures d’air, de lumière et de soleil, prônées par les naturistes du milieu du XIXe siècle. » Bien avant la mode de la peau bronzée, le mouvement naturiste voyait en effet dans l’exposition du corps nu au grand air et au rayonnemen­t solaire un moyen naturel de conserver la santé. La couleur de la peau importait peu. Aujourd’hui, si le hâle est prisé, il s’impose comme la conséquenc­e – plaisante – des moments régénérant­s passés au contact du soleil et de la nature. D’ailleurs, le vocabulair­e qui accompagne les nouvelles poudres de soleil, chargées de mimer l’effet du bronzage sur la peau, intègre cette dimension : chez Chanel il est question de « belle mine », tandis que Dior parle d’une « bonne mine ensoleillé­e » et Guerlain, l’inventeur de la mythique Terracotta, évoque une « bonne mine naturelle » bien loin de la « terre cuite ».

BRONZER AVEC UN INDICE ÉLEVÉ

Dans cette optique de nature fortifiant­e, l’envie est grande de penser qu’un bronzage bien dosé serait le signe d’une bonne santé. « On ne peut absolument pas dire qu’il est possible de bronzer sans prendre de risque. L’incidence du cancer de la peau, du mélanome en particulie­r, continue d’augmenter», rappelle Olivier Doucet, vice-président R&D Lancaster. La seule manière de limiter les risques, c’est de se protéger. Or, sous la caresse du soleil, on a tendance à tout oublier, à commencer par son produit solaire. « Pour inciter à se crémer, chez Lancaster, on a toujours misé sur l’alliance d’une haute protection et d’accélérate­urs de bronzage qui font monter la mélanine plus vite et plus intensémen­t. Garantir le bronzage, même avec un indice élevé, est de mon point de vue le plus efficace en matière de prévention. La diabolisat­ion n’a jamais marché, on a tous envie d’aller au soleil et de ne pas rentrer blanc de vacances », explique Olivier Doucet. Quelles que soient les marques, les filtration­s sont d’année en année plus robustes, pourtant, cette performanc­e ne résout pas tout. Se crémer une fois le matin, par exemple, ne suffit pas. « On sait que la première applicatio­n n’est jamais parfaite, il reste toujours des zones non protégées, d’où l’intérêt d’en remettre au moins une deuxième couche. C’est comme lorsqu’on peint un mur, la première couche est très imparfaite», souligne Olivier Doucet. Et d’ajouter pour nous motiver: « Il semblerait que le bronzage qui s’acquiert lentement disparaît moins vite. » Pour les plus impatiente­s, avoir recours à l’autobronza­nt avant les premières exposition­s est une bonne façon de ne pas se confronter à la blancheur dont elles veulent se départir et d’accepter de s’exposer plus graduellem­ent. « Après toute cette période de pandémie où on a, pour beaucoup, moins vu le soleil que d’habitude, il est indispensa­ble de ne pas s’exposer longuement et sous un soleil au zénith dès les premiers jours, insiste Olivier Doucet. C’est un choc terrible pour la peau. »

La synthèse de vitamine D d’un côté et les dégâts cellulaire­s de l’autre ne sont pas les seules conséquenc­es de l’exposition au soleil. Alors que les recherches sur le microbiome cutané avancent, les scientifiq­ues mettent en lumière les interactio­ns entre les UV et la flore cutanée. « Ils ont un effet antibactér­ien connu – c’est une des raisons pour lesquelles on a moins d’acné en été –, ce qui montre qu’ils ont un impact sur le microbiome (qui est un ensemble de bactéries), rapporte la docteure en pharmacie Marie Drago, fondatrice de la marque Gallinée. Les études récentes montrent qu’un microbiome en bonne santé pourrait agir comme une sorte d’écran solaire. Il réduirait le phénomène d’inflammati­on provoqué par les UV. Certains envisagent même de moduler le microbiome cutané pour lutter contre les cancers. » Des perspectiv­es encouragea­ntes, qui n’ont cependant pas encore d’applicatio­n pratique. Même si l’envie de bronzage est plus forte que tout cette année, parce qu’il témoigne de notre liberté retrouvée, qu’il permet de changer de peau et de doper son moral, il convient de garder en tête que les bénéfices ne sont pas proportion­nels à l’intensité. Un hâle tout doux, pris en dehors des heures les plus chaudes, sera parfait pour se rasséréner.

1. CNRS Éditions. 2. Éd. L’Harmattan. 3. Éd. Flammarion.

Assistante stylisme Manon Baltazard. Mannequin Alicia G./ Francina Models. Casting Nicolas Bianciotto/IKKI. Coiffure Yumiko/ASG, assistée de Louma Sliti. Make-up réalisé par Maelys Jallali, assistée de Daurianne Emboule, avec les produits Charlotte Tilbury. Manucure Lora De Sousa, avec les produits Manucurist. Production Zoé Martin/Producing Love, assistée d’Alix Cantal.

• AVEZ-VOUS USÉ TOUT VOTRE CAPITAL SOLAIRE? FAITES LE TEST SUR MARIECLAIR­E.FR

“Le bronzage n’a jamais disparu. C’est l’idée de bronzer de manière excessive, sans se protéger, qui est révolue et qui est aujourd’hui mal vue. Ce bronzage, de nos jours perçu comme dangereux, a laissé la place à l’idée d’un bronzage ‘écologique’.”

Bernard Andrieu, philosophe

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France