Si loin, si proches
Au milieu de cette rentrée littéraire abondante, trois auteures étrangères nous ont particulièrement touché·es avec leur nouveau roman, des livres drôles, inventifs et vibrants d’humanité.
LE PLUS EXPLOSIF
Lecture facile de Cristina Morales
Un vrai coup à l’estomac, où le talent de l’auteure nous suffoque jusqu’à la dernière page. De quoi s’agit-il? De quatre jeunes femmes « en déficience mentale» selon l’administration, partageant un appartement dans un quartier populaire de Barcelone, plus ou moins assistées mais libres de vivre comme elles l’entendent. Nati, désinhibée sexuellement et socialement, s’attire souvent des ennuis; Patricia, inquiète, craint de se faire virer de l’appartement; Marga, pour sa libido et son envie d’amour, cherche un autre logement; Angels entame le récit en lecture facile de leur vie à quatre: dans un style émouvant et drôle, inventif et direct, l’auteure nous parle du corps, du désir et de la dignité nécessaire à chacune pour que sa différence soit moins handicapante. Ce livre explosif a notamment reçu en Espagne le prix Herralde du roman et le prix national de Littérature narrative. Éd. Denoël, traduit de l’espagnol par Margot Nguyen-Béraud, 23,50 €.
LE PLUS MUSCLÉ
Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes de Lionel Shriver
À nouveau, Shriver mord là où ça fait mal: cette fois-ci, dans les mollets musclés de la société américaine, obsédée par le culte du corps et de la performance. Névrose qu’elle pointe avec un humour délicieusement assassin. Un couple de sexagénaires (beaux, mais un peu fatigués) va voir sa vie déréglée par la soudaine décision de Remington (nom de carabine et de machine à écrire, personne n’est parfait) de courir un marathon, lui qui n’a jamais fait de sport. Tous les rebondissements qui en découleront vont obliger mari et femme à considérer avec plus ou moins d’optimisme la question de leur âge, de leur corps, de leurs rapports sexuels, sous l’angle de l’améliorable et de l’irréversible. D’autres clichés ou concepts, «wokismes» inclus, passent à la moulinette dans ce roman magnifiquement… musclé.
Éd. Belfond, traduit de l’anglais (États-Unis) par Catherine Gibert, 22 €.
LE PLUS REMUANT
Daddy d’Emma Cline
Cette année, nous avions déjà chroniqué le fameux Harvey (1), où Emma Cline s’était mise dans la peau du Weinstein à l’origine de #MeToo, après avoir approché l’histoire d’un autre monstre, Charles Manson, dans The girls (2) – succès colossal, là aussi. Ici, dans un recueil de nouvelles d’une maîtrise et d’une justesse uniques, cette auteure prodige de
32 ans s’attaque à de nouveaux monstres, moins spectaculaires: nous. À tous ces petits bugs qui trahissent nos failles, petits ou (très) gros défauts. Que ce soit un père réunissant ses enfants adultes pour une soirée de Noël décevante, ou un autre, convoqué par le directeur d’un lycée où son fils vient de faire une grosse bêtise, une nounou pas très nette ciblée par la presse à scandales, une trentenaire trichant sur des sites de rencontre: c’est nous, ou ça pourrait bien l’être… 1. Éd. La Table Ronde, 14 €. 2. Éd. 10/18, 8,10 €. Éd. La Table Ronde, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch, 22 €.