Marie Claire

The Souvenir I & II, la mémoire du cinéma dans la peau

En auscultant l’histoire d’une emprise passionnel­le, la réalisatri­ce anglaise Joanna Hogg livre un diptyque envoûtant doublé d’une célébratio­n des pouvoirs réparateur­s du cinéma. Immanquabl­e.

- Par Emily Barnett

“JE NE VEUX PAS MONTRER LA VIE COMME ELLE EST MAIS

Cette phrase résume à elle seule le COMME JE L’IMAGINE.” projet de The Souvenir I & II, épopée intime – et largement autobiogra­phique – d’une jeune femme anglaise à Londres dans les années 80. Le film est réparti en deux volets, l’un réalisé en 2019 et découvert à Berlin, le second vu cette année à Cannes à la Quinzaine des réalisateu­rs. Deux séquences de vie que la cinéaste Joanna Hogg entreprend de réconcilie­r, comme deux fragments de soi. La première partie raconte la liaison de Julie, une étudiante en cinéma issue d’un milieu bourgeois, avec Anthony, un homme magnétique mais héroïnoman­e. La seconde se passe à la fin de leur histoire et tente de lui donner rétrospect­ivement un sens. Les deux premières heures offrent une ligne claire, réaliste; les deux suivantes, plus baroques, dévoilent une mise en abîme, une savante déconstruc­tion de ce qui précède (tout en l’éclairant) et un vibrant hommage au métier de cinéaste. Quatre heures d’intelligen­ce et de pure délicatess­e. Un sommet de fiction elliptique et impression­niste.

Souvenir I est le récit d’une emprise amoureuse. Souvenir II est son antidote: la découverte d’une vocation, un envol. Pendant tout ce temps, on se demande: comment Julie a-t-elle pu accepter l’inacceptab­le? Quels sont les ressorts d’une soumission à l’autre? Le jeu subtil de Honor Swinton Byrne (fille de Tilda Swinton, remarquabl­e également ici dans le rôle de sa mère) donne quelques clés, à travers une douceur qui frise l’atonie, une pâleur d’héroïne romantique et chancelant­e. À travers, enfin, une culpabilit­é sociale de gosse de riche qui la travaille sournoisem­ent. La manière dont Hogg filme l’argent a quelque chose de bressonien. Tout comme les peaux, le sexe. La réalisatri­ce défait les matières. Sous son regard, tout devient aérien, s’envole. Et les spectateur·rices avec. Le film reste et opère en nous comme un charme, celui de la nostalgie d’une époque que nous n’avons peut-être pas connue, mais que réanime cette fresque artistique et intellectu­elle pleine d’apprentis cinéastes en ébullition. C’est de tout cela que Joanna Hogg se souvient avec une acuité poignante.

(*) The Souvenir I & II de Joanna Hogg, avec Honor Swinton Byrne, Tom Burke, Tilda Swinton. En salle le 29 décembre.

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Honor Swinton Byrne, alias Julie, dans The Souvenir Part II.

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