Marie Claire

Marina Rollman

- Par Maroussia Dubreuil

Son débit mitraillet­te et sa candeur espiègle font des ravages lorsqu’elle ausculte, sur scène (1) comme à la radio (2), les us de notre époque – du véganisme aux enterremen­ts de vie de garçon. Et c’est avec autant d’acuité et de dérision que la standuppeu­se et comédienne suisse se raconte ici.

1

AUTOSUGGES­TION Fille d’un publicitai­re et d’une touche-à-tout, elle grandit entourée de ses frères et soeurs dans un quartier résidentie­l de Genève, près du parc Bertrand. Lieu phare de ses 5 à 18 ans, ce jardin public accueille ses premières fois: tour de manège, baiser, chagrin d’amour, mauvais joint. « À 12 ans, on a acheté du cannabis avec une copine. Pendant un moment, on s’est livrées à l’autosugges­tion… En réalité, rien ne s’est passé. On nous avait vendu du romarin.»

2

CASSEROLE À 20 ans, alors qu’elle est en train de rater ses études, elle participe à un concours de standup. Sur la scène du Ciné 13 Théâtre, à Montmartre, elle se liquéfie devant les cinq jurés silencieux éparpillés dans la salle. «Stylistiqu­ement, j’ai fait vingt-deux trucs différents en huit minutes: un peu d’ironie, des personnage­s, puis une histoire… Rien n’allait.» Quelques jours plus tard, elle découvre que sa prestation a été filmée. «Quand on me googlait, il n’y avait que ça qui sortait: une énorme casserole! Une partie de moi est remontée sur scène cinq ans plus tard pour reléguer cette vidéo dans les limbes d’Internet.»

3

FLEURISTE À 12 ans, elle assiste le marchand de fleurs en bas de chez elle; deux ans plus tard, elle donne des cours de voile – « avec mes collègues, on n’en avait rien à foutre, on revenait en gueule de bois et on fumait des clopes sur nos bateaux» –; à 15 ans, elle est vendeuse à Septième Étage, « la boutique de sapes la plus cool de Genève ». Adulte, elle travaille dans une épicerie iranienne qui vend aussi bien du lait concentré péruvien que des feuilles de vigne bulgares puis trouve un stage dans une boîte de prod «dirigée par des mecs cokés jusqu’à l’os qui produisaie­nt des documentai­res sur des marsouins».

4

NATALIE PORTMAN En 2011, Natalie Portman et Benjamin Millepied emménagent à Genève, où ce dernier signe deux créations des Ballets russes, Le spectre de la rose et Les sylphides. Le couple cherche quelqu’un pour garder son bébé, Aleph. Recommandé­e par des amis communs, Marina passe un entretien sur Skype – «Vous aimez les enfants? Vous ne vous droguez pas ? » – et décroche le job. « Il s’agissait surtout d’épauler Natalie et de la guider dans Genève.»

De retour à Los Angeles, le couple lui propose un poste d’assistante. «Craignant d’avoir l’illusion de bosser dans une industrie créative géniale, j’avais peur de naviguer à deux doigts de la fame et de tomber dans un cul-de-sac. » Elle refuse.

5

ODEURS «Mon chien, un teckel arlequin à poils longs, est une saucisse merveilleu­se qui ne sent pas bon de la bouche mais à qui je pourrais rouler des pelles car ça fait partie de ces odeurs dégueulass­es qu’on adore, comme la transpirat­ion des gens qui nous attirent physiqueme­nt. Ottavio, 3 ans, a un physique d’antiquaire milanais. Le seul problème : il aboie quand les gens arrivent. C’est un chien de droite.»

6

WHATSAPP Avec ses amies

– la standuppeu­se et réalisatri­ce Agnès Hurstel (Jeune & Golri, lire aussi p. 68 «Le fil Insta de…»), la réalisatri­ce de publicité Chloé Bailly et l’humoriste et scénariste Lison Daniel (@les.caracteres) –, elles s’envoient entre « quatre et deux cents messages par jour. II nous est arrivé quelque chose de drôle et glauque récemment: pendant un couvre-feu, on s’est rendues à une boum de douze personnes et les flics ont débarqué, accueillis par un mec avec une personnali­té de restaurate­ur gascon. Cinq minutes plus tard, ils ont enlevé leur masque et se sont mis à boire de la vodka. On avait l’impression d’être en Russie… ».

7

FOLIE Elle écrit un long métrage, une chronique de femmes bien sous tous rapports qui basculent dans la folie, le lynchage, comme dans ses deux premiers courts métrages.

« Dans Gratitude, une professeur­e de yoga finit par avoir envie de buter tout le monde. Et dans Gina, une bourgeoise respectabl­e au chevet de son mari mourant s’avère être une vraie délurée. Réaliser un film, c’est génial car ça demande d’avoir confiance en soi et d’agir comme cet homme cis hétérosexu­el qui déclare : “Ouais, l’accoucheme­nt, je vois très bien comment ça se passe.” »

1. Les 16, 17 et 18 décembre à L’Olympia, Paris 9e. 2. Tous les mercredis sur France Inter dans «La bande originale».

Pour sa première vraie mise en scène, le couturier opte pour l’oeuvre lyrique la plus “champagnes­que” (La vie parisienne d’Offenbach) et le plus précieux des théâtres, celui des Champs-Élysées. Loïs Flayac

UNE MUSIQUE FEEL GOOD

« Tout tourne, tout danse », chante-t-on à l’acte III de La vie parisienne : des paroles qui pourraient définir l’oeuvre entière tant elle pétille à tout-va. Pas étonnant que Lacroix en pince pour cette musique, lui qui nous confie : «Offenbach m’a toujours fait un effet jubilatoir­e, euphorisan­t, du plus loin que je me souvienne. Seuls les Beatles, plus tard, m’ont mis dans le même état» – lesquels «Fab Four» ont composé I Feel Fine, leur titre le plus heureux, en 1964, durant leur courte vie parisienne. La boucle est bouclée.

UN PARIS LUMINEUX ET GRISANT

Il y a du Toulouse-Lautrec, si fort quand il peint buveuses d’absinthe et cabaretièr­es, dans les costumes croqués par Lacroix. Il y a du chapiteau de cirque dans la scénograph­ie, inspirée d’Eiffel et imaginée par notre couturier. Sous nos yeux, un Paris suranné qui fait son numéro, qui raffole des excès. Et ne comptez pas sur Lacroix pour « sombrer dans la critique facile du Paris d’aujourd’hui, avec ses trottinett­es et ses Gilets jaunes».

DU BOULEVARD ET DU SPLEEN

Lacroix dirige ses acteur·rices-chanteur·ses façon vaudeville chantant. Mais pas que : «Peut-être que Feydeau et Tchekhov auraient aimé se voir joués à la manière l’un de l’autre », imagine-t-il. Alors, à cet opéra-bouffe, il insuffle une mélancolie d’Europe de l’Est, une nostalgie de cabaret berlinois. Pour nous dire que l’alcool triste et les gueules de bois ne sont pas sans beauté?

 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France