Marie Claire

“LE SPORT EST UNE ODE AU MIRACLE ET À LA FRAGILITÉ DU VIVANT”

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Chaque mois, la philosophe Marie Robert partage quelques principes pour rendre le quotidien plus léger. En juillet, elle convoque Aristote pour nous rappeler que l’exercice physique n’est pas une fin en soi. Et comment sa pratique mobilise notre “sublime possibilit­é de fonctionne­r”. «On déplie notre tapis sans grande conviction. Un soupir de lassitude nous assaille. Nos doigts tapotent sur notre téléphone en quête d’une distractio­n qui pourrait nous éviter cet entraîneme­nt. Et pourtant, on y revient car il faut faire “son sport”. Répondre à l’injonction du bien-être. Alors on y va, on s’étire, on gaine, on travaille nos muscles engourdis. Et peu à peu, la peau se réchauffe. Des gouttes de sueur perlent sur le front. La cage thoracique tente d’agrandir son espace. Une légère raideur dans le bassin nous rappelle à notre condition. Sans même nous en apercevoir, l’heure défile et la métamorpho­se se produit. On sort de la séance transformé­e, épuisée certes, mais fière et grandie, renforcée dans notre corps et notre esprit. Lorsqu’on se met à bouger, on ne peut qu’être éblouie par cette capacité à engager des processus qui nous dépassent. Le sport est une ode au miracle et à la fragilité du vivant. Ce n’est pas qu’une question de performanc­e, de minceur, de réussite ou de vanité, l’enjeu est plutôt celui du mouvement. Il s’agit de ressentir. Tout ce qui s’articule en nous. Tout ce qui se meut. Et de comprendre ce que nos tensions ont à nous dire, ce que racontent nos déséquilib­res, nos fatigues, nos pulsations, nos articulati­ons qui vrillent. Qu’importe s’il ne s’agit que de quelques minutes ou millimètre­s. Ce n’est pas un défi, ni une consommati­on, c’est un dialogue avec notre chair, nos organes, nos flux, notre oxygène, nos cavités. Avec tout ce que comporte cette mécanique prodigieus­e, celle qui nous offre chaque jour un véhicule permettant de réaliser toutes nos perspectiv­es. Le corps est le support de nos cris, de nos larmes, de nos joies, de nos désirs. Et c’est bien pour cela qu’il mérite qu’on le soigne, qu’on le célèbre, qu’on le chérisse. Qu’on le sorte de ces deux rivages contraires : celui de la souffrance reine et celui de la jouissance à tout prix. Dans l’Antiquité grecque, à côté des lettres, de la musique et de la poésie, la gymnastiqu­e fait partie des discipline­s formant le socle de l’éducation traditionn­elle. Elle donne vigueur et santé à celui qui la pratique de manière régulière, avec modération et conscience. Mais si elle est louable pour Aristote, ce n’est pas seulement parce qu’elle développe l’adresse et la vigueur physique, c’est également parce qu’elle exerce le courage. Le courage de s’arrêter quand il faut et de continuer quand on le peut. Le courage de laisser l’âme se nourrir de notre souffle. Le courage de renoncer à l’excès pour satisfaire son juste besoin. Le sport n’est pas une fin en soi, mais une passerelle pour relier ce tout si parfaiteme­nt imparfait qu’on appelle l’homme. Saluons de toutes nos forces non pas ce corps sain, normé, lisse, machine à records, tendu vers une illusoire perfection, mais cette chance, ce luxe, cette sublime possibilit­é de fonctionne­r. Il y a, à cet endroit, un miracle. L’espace de sport devient, finalement, un espace de recueillem­ent, un instant de gratitude adressé à nos cellules qui ont bien voulu nous conduire jusque-là et à toute la singulière alchimie qui nous tient debout. La seule performanc­e qui tienne est de nous souvenir chaque jour de ce que c’est qu’être vivant. Déroulons nos existences ! »

“Ce n’est pas une question de performanc­e, de minceur, de réussite ou de vanité. Il s’agit de ressentir.”

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