Marie Claire

Cold case à la française

Inspiré de faits réels et dévoilé en mai au Festival de Cannes, La nuit du 12 (1), polar vertigineu­x signé Dominik Moll, pointe la misogynie systémique qui mine les enquêtes sur les féminicide­s. Glaçant.

- Par Emily Barnett

C’EST LE GENRE DE SCÈNE QUE L’ON N’OUBLIE PAS: une jeune fille rentre chez elle la nuit dans une banlieue pavillonna­ire. Soudain, un homme masqué surgit en prononçant son prénom. Il l’arrose d’essence et actionne un briquet. La jeune fille prend feu. L’horreur. Adapté d’une trentaine de pages de l’enquête de Pauline Guéna sur la PJ de Versailles (2), La nuit du 12 s’ouvre sur cette scène glaçante. À partir de là, on ne décroche plus de l’action, de ce meurtre à l’enquête pour le résoudre. Qui a pu commettre un crime aussi affreux? Aussi gratuit? Telle est la question qui taraude les deux policiers mis sur l’affaire (les excellents Bastien Bouillon et Bouli Lanners), qu’on va suivre à travers leurs nombreux interrogat­oires. Tous les suspects sont de jeunes hommes, ex-copains et amourettes de passage de la victime. Aucun ne semble coupable, mais chacun se révélera, à sa manière, monstrueux – dominateur, lâche ou indifféren­t.

LA MARQUE DES POLARS MÉTAPHYSIQ­UES

Armé d’une finesse toute en ironie, le film de Dominik Moll (Harry, un ami qui vous veut du bien) dénonce la misogynie qui gangrène les enquêtes sur les féminicide­s. Face aux potentiels meurtriers, la police se pose inexorable­ment les mauvaises questions: la victime n’aimait-elle pas un peu trop le sexe? Prenait-elle de la drogue? Avait-elle un tropisme pour les bad boys ? C’est finalement la seule fille en uniforme qui résume le mieux la situation, pointant du doigt l’absence de femmes à la PJ : « Ce sont les hommes qui tuent, ce sont les hommes qui enquêtent… On vit dans un monde d’hommes. » Dès le départ, on sait que La nuit du 12 butera sur une énigme, puisqu’il s’agit ici d’un «cold case» – ces crimes dont on ne trouve jamais le meurtrier. On sait depuis Zodiac de David Fincher que c’est la marque des polars métaphysiq­ues, vertigineu­x et entêtants. Mais aussi, peut-être, la métaphore d’une impuissanc­e plus générale, qui dit combien les meurtres de femmes sont un fléau sociétal bien loin d’être résolu.

1. De Dominik Moll, avec Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Lula Cotton-Frappier… En salle le 13 juillet. 2. 18.3. Une année à la PJ, éd. Denoël, 2019.

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Les enquêteurs Marceau (Bouli Lanners) et Yohan (Bastien Bouillon).

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