LOLA RYKIEL
Comment réussissez-vous à faire entendre votre voix de créatrice? Quand ma grand-mère s’est lancée, c’était plus facile d’imposer son univers, d’affiner une signature personnelle car on comptait moins de créateurs. Aujourd’hui, il y a une multitude de choix et de designers. Pompom Paris est une jeune marque, créée en 2019, il est donc important de prendre du temps pour raconter son identité. Avec le temps, je me rends compte qu’il faut aiguiser ma vision, être spécifique pour me différencier… quitte à être clivante ! Quand j’ai sorti mon T-shirt Spiritual Bimbo, certaines femmes trouvaient l’expression terrible, je la trouve drôle parce que c’est vrai: on peut s’habiller comme une bimbo et être spirituelle. J’aime les vêtements qui provoquent les gens, les font sourire, les choquent. La mode sert à s’amuser, à apporter de l’audace et de la dérision à la vie.
Justement, comment définiriez-vous l’identité de Pompom Paris?
C’est une marque germanopratine, mettant en avant le côté littéraire et drôle de la rive gauche parisienne mais également le glamour new-yorkais des années 50 et 60, de l’univers de Broadway. À l’origine, je voulais être danseuse professionnelle et je suis partie étudier dans l’école de Martha Graham à New York. J’en ai gardé des images fortes de professeurs à l’allure nonchalante et gracile, de ces associations de vêtements serrés et très amples, des justaucorps troués, des cache-coeurs… Pompom réunit ces deux univers, avec l’envie sincère d’imaginer des vêtements qui procurent de la joie.
Comment sont nés cette minaudière en forme de rouge à lèvres et ce pilulier aux airs de vernis à ongles en collaboration avec Judith Leiber?
C’est une marque de sacs américaine que j’admire depuis toute petite. Je l’ai connue à travers les yeux de ma mère et ma grand-mère, je l’ai redécouverte quand je vivais à New York. C’est la quintessence du glamour outre-Atlantique, des minaudières comme des objets d’art aussi délirantes et drôles que peu pratiques. Des pièces qui vous transposent dans un autre univers et ne se prennent pas au sérieux, exactement ce qui me plaît dans la mode. C’est pour cela que mes collections sont en lycra, en rose, en velours, en strass… C’est irrésistible.
Vous avez imaginé un bomber qui rend hommage au Café de Flore. Quel est votre lien avec ce lieu parisien?
J’ai grandi à Paris, à Saint-Germain-desPrés. Cet endroit, c’est ma madeleine de Proust. Ma grand-mère y déjeunait tous les jours, elle y a même un sandwich à son nom, et je passe tous les jours devant. J’ai eu envie de reprendre leur signature en strass Swarovski sur une collection de dix bombers confectionnés avec des chutes de satin rose. C’est un blouson qui me fait rêver et qui est pensé pour faire du bien à celles qui le portent. Cette édition très limitée sera lancée en septembre.
Vous avez grandi entourée de figures fortes. Comment a évolué votre vision de la féminité?
Pour moi, elle est liée à la force, à la beauté, à la culture. J’ai des souvenirs de goûter d’un pain au chocolat dans l’atelier de ma grand-mère pendant les essayages, l’entendant corriger avec ma mère le tombé d’une épaule ou la couture d’un pull. C’est un modèle matriarcal puissant avec l’idée d’une femme forte et résiliente qui peut faire des enfants et travailler, lire et sortir. J’ai grandi dans cet univers privilégié où les femmes avaient le pouvoir. Elles avaient raison, elles se servaient les premières à table, tout l’inverse de chez mes amis. Cela m’a donné beaucoup de force mais j’ai mis du temps à me situer par rapport à cet héritage. Aujourd’hui, j’essaie d’éviter de tomber dans l’opposition ou l’imitation pour trouver ma voie personnelle.