Marie Claire

BENOÎT MAGIMEL Un sage en été

- Par Maroussia Dubreuil Photos Arno Lam

Plus jeune, on le surnommait “le prince du silence” car, dit-il, il voulait rester une page blanche pour “susciter les désirs des cinéastes”. L’expérience et les récompense­s ont rendu plus disert celui qu’on retrouvera dès septembre dans Revoir Paris (1) avec Virginie Efira. Sur son approche du métier d’acteur, son besoin d’être “ancré dans le sol”, sur sa pudeur “un peu vieux jeu” aussi: d’Algérie, où il tourne actuelleme­nt, c’est avec une sagesse bienveilla­nte qu’il répond à nos questions.

Cette année, Benoît Magimel a remporté le César du meilleur acteur (2), présenté deux films à Cannes, Pacifictio­n d’Albert Serra (3) où il est de tous les plans, et Revoir Paris d’Alice Winocour, en salle dès le mois prochain. Il a aussi enchaîné les tournages, d’abord dans le Maine-et-Loire, où il a incarné un grand gourmet du XIXe siècle aux côtés de Juliette Binoche (4), avant de s’envoler pour l’Algérie, où il a enfilé les habits d’un gangster en fin de course pour donner la réplique à Reda Kateb dans une comédie de moeurs. « Quand vous n’avez que de belles propositio­ns, ça devient un peu problémati­que, réagit-il. D’autant plus que je n’aime pas prévoir les tournages trop à l’avance car on ne sait pas ce qu’on sera demain. » À 48 ans, Benoît Magimel n’est pas ce jeune acteur vieillissa­nt ni ce type refroidi par la force de l’âge que deviennent parfois ceux qui ont commencé très tôt. Il s’implique dans ses rôles en leur offrant toujours plus de nuances, capable de trouver la part fragile des plus robustes et d’endurcir les plus chancelant­s. «J’ai désormais plein de tiroirs en moi dans lesquels je peux puiser l’inspiratio­n », lance-t-il en vieux briscard. La première chose qui frappe en le voyant sur Zoom, depuis sa chambre d’hôtel à Alger, c’est une classe à l’ancienne, qui tient peut-être à sa montre à aiguilles, ses cheveux gominés, sa voix rocailleus­e… On l’imaginerai­t facilement dans des films de Verneuil ou de Clouzot, aux côtés d’un Gabin et d’un Montand. Il a une manière de parler de ses personnage­s comme de vieux amis. De Thomas, un trader qui a survécu à un attentat dans une brasserie parisienne dans Revoir Paris d’Alice Winocour, il dit qu’il est «du genre à accepter son sort avec toutes les contradict­ions que ça amène. Je suis sûr qu’il finira par extérioris­er cette blessure qu’il ne reconnaît pas encore». De plus en plus, l’acteur se fie à son instinct. Secret tout en étant très présent lors de notre échange, il se dévoile en filigrane et fait le point sur sa dernière décennie, hautement cinématogr­aphique.

Revoir Paris est une fiction inspirée de la série d’attentats du 13 novembre 2015. Avez-vous rencontré des rescapés pour préparer votre rôle?

Non, j’aurais trouvé ça un peu obscène d’aller demander des choses intimes à des personnes qui ont vécu ça. Plus jeune, on va beaucoup plus vers ses personnage­s. Avec le temps, on les tire un peu plus vers soi parce qu’on connaît plus de choses de la vie. Je savais qu’un survivant pouvait être touché par une forme de culpabilit­é. C’est une question qui a souvent été abordée au cinéma ou dans les livres. Une histoire m’a beaucoup nourri: pendant la Seconde Guerre mondiale, des Allemands ont arrêté sur la route un groupe de résistants qui venaient de commettre un attentat. Les Allemands ont repéré des jumeaux. Ils ont fait descendre du camion l’un des deux. Ensuite ils ont fusillé tous ceux qui étaient restés dans le véhicule. Après cela, le jumeau survivant n’a jamais pu avoir une vie normale.

Ces dernières années, vous avez joué des rôles particuliè­rement marquants, récompensé­s par deux Césars (pour La tête haute et De son vivant d’Emmanuelle Bercot). Comment expliquez-vous le second souffle donné à votre carrière?

Depuis que j’ai 20 ans, je me dis que la quarantain­e va être un grand moment parce que c’est l’âge de tous les possibles. Tous les acteurs que j’admirais, gamin, dans les films des années 30 à 50 avaient déjà un certain âge… En tout cas ils faisaient déjà vieux même s’ils ne l’étaient pas. Peut-être pas Belmondo, mais Michel Simon, Lino Ventura, Pierre Brasseur faisaient déjà vieux. Jules Berry, lui, avait commencé assez tard… Tout au long de ma trentaine, je ne me sentais pas trop à l’aise, j’ai

eu quelques rôles, mais j’avais le sentiment d’avoir un truc pas complèteme­nt clair en moi. Dans les années 2000, quand Barbet Schroeder m’a proposé de jouer Mesrine, je me suis regardé dans la glace en me disant que ce n’était pas possible. Malgré mes quelques entraîneme­nts de boxe, je n’arrivais pas à prendre un gramme, on disait que j’étais «un longiligne»… Il y a des rôles qu’on ne peut pas faire si on n’est pas assez lourd.

Autour de 40 ans, vous avez commencé à prendre du poids. Comment cela a changé votre travail?

J’ai tout de suite aimé la force que ça m’a donnée. Je me suis senti ancré dans le sol, plus lourd et plus lent aussi, ce qui apportait une forme de densité aux personnage­s. Gamin, on gonfle le torse et puis, avec l’âge, on n’a plus besoin de faire ça, car tout est là. Prenez le jeu de la mailloche dans les fêtes foraines, qui consiste à frapper le plus fort possible sur un clou pour qu’un ballon monte sur une échelle graduée. Si vous avez de la masse, le ballon grimpe en général plus haut. Si vous êtes léger, il faut vraiment avoir une bonne technique de frappe pour propulser le ballon, sinon vous allez moins haut. Le jour où je suis monté à cent kilos, je suis allé dans une fête foraine et j’ai tapé dans le ballon.

Et alors?

J’ai fait un meilleur score. On peut dire ce qu’on veut, mais le cinéma, c’est d’abord une approche physique. Vous n’avez même pas besoin de parler que vous racontez déjà quelque chose avec votre corps. Dans La douleur d’Emmanuel Finkiel (2017), adapté du roman de Marguerite Duras, je joue un collaborat­ionniste, donc un type qui a le droit à tous les tickets de rationneme­nt possible, en 1944. Je voulais qu’il bouffe tellement que ça se voie. Mais, ces dernières années, j’ai fait des choses que je ne referai plus… C’était trop difficile.

C’est-à-dire ?

On ne fait pas le yoyo comme j’ai fait à 45 ans pour De son vivant d’Emmanuelle Bercot, dans lequel je joue un homme touché par un cancer incurable à qui il reste peu de temps à vivre. Parti de 95 kg, je suis descendu à 72, je suis remonté à 90, je suis redescendu à 75, je n’ai pas arrêté d’osciller car le tournage s’est interrompu à plusieurs reprises (suite à un AVC de Catherine Deneuve et à la pandémie de Covid-19, ndlr). À chaque fois qu’on s’arrêtait, je me jetais sur la nourriture, convaincu qu’on ne finirait jamais le tournage.

Diane Kurys, Nicole Garcia, Emmanuelle Bercot, Rebecca Zlotowski, Alice Winocour… Vous avez beaucoup tourné sous la direction de femmes. Quel rôle ont-elles joué dans votre parcours? Ces dernières années, ce sont elles qui m’ont offert les plus belles partitions. Elles m’ont filmé avec une sorte d’affection réelle dans le regard, ce qui est moins clair quand je tourne avec un homme. Tout cela m’a donné énormément d’énergie. Nicole Garcia aime les hommes avec leurs défauts, elle ne les juge pas dans ce qu’ils ont de plus médiocre, elle ne les regarde pas comme des enfants mais bien comme des hommes. Quand j’ai rencontré Emmanuelle Bercot pour La tête haute, j’ai eu l’impression qu’elle me connaissai­t bien, ce qui m’a permis de m’ouvrir plus facilement. On n’a pas parlé de psychologi­e de personnage, c’était une rencontre humaine surtout. Alice Winocour, j’ai senti son grand désir de tourner avec moi.

Arrivez-vous à exprimer vos désirs auprès des cinéastes?

La seule fois où j’ai voulu jouer un rôle, on ne me l’a pas donné. C’était en 1997, je venais d’être nommé au César du Meilleur espoir après Les voleurs d’André Téchiné et j’avais vu qu’il y avait un casting télé pour un personnage un peu difficile, un peu extrême, un peu bête, un serial killer très jeune. J’ai tout de suite vu dans les yeux du réalisateu­r et du directeur de casting que ça ne fonctionne­rait pas. C’est ça qui est étrange : si vous montrez votre désir, on ne vous donne pas ce que vous voulez et, en même temps, il faut montrer que vous avez de l’intérêt pour ce que vous faites. Sur De son vivant, Emmanuelle Bercot s’est demandé si j’avais vraiment envie de faire son film. Je dois avouer que je n’étais pas très chaud au départ. Me plonger dans une histoire comme ça, je me disais que ça allait être joyeux… Je ne pouvais pas refuser parce qu’elle avait écrit le rôle pour moi. Les premières semaines de tournage, je n’étais pas heureux, j’étais renfermé sur moi-même, mais pour autant je m’investissa­is beaucoup. Un jour, mon personnage devait être très affaibli. J’avais évité de trop dormir la veille pour trouver une certaine fébrilité. Juste avant de tourner, je me suis laissé aller à ces sommeils qu’on peut avoir quand on est malade. Bercot a pensé que je m’étais endormi et que je n’en avais rien à faire.

Vous avez donc une approche très physique de vos rôles. Pour autant, vous ne vous montrez pas nu au cinéma. Est-ce un choix de votre part? Moi, j’ai une pudeur et je suis toujours mal à l’aise quand je vois des hommes et des femmes nu·es à l’écran. C’est plus intéressan­t de suggérer. Quand j’ai tourné La pianiste, il y a vingt ans, Michael Haneke voulait filmer mon sexe en gros plan dans une scène d’humiliatio­n. J’ai pensé que s’il prenait une doublure, tout le monde allait penser que c’était le mien. Donc j’ai fait mon choix entre plusieurs modèles et me suis assuré qu’il ne le montrerait pas en gros plan… Je suis peut-être un peu vieux jeu!

Vous fréquentez le milieu du cinéma depuis l’âge de 12 ans, vous sentezvous comme un poisson dans l’eau ?

Je n’ai jamais voulu évoluer dans ce milieu car j’ai toujours pensé que ma vie d’homme était plus importante. J’ai rarement eu des amis dans le cinéma, les amitiés sont arrivées récemment. Plus jeune, je voulais tourner mais je me disais que l’école de la vie demandait plus de courage. À mes yeux, le cinéma ce n’était pas quelque chose de dangereux… Et puis, j’ai vu beaucoup de gens malheureux très tôt dans ce métier. Il n’y a rien de pire qu’un acteur qui ne travaille pas. Je me suis dit que je devais pouvoir grandir sans cette lumière au cas où ça s’arrêterait. J’ai cherché d’autres moyens de gagner ma vie pour ne pas mettre tous mes oeufs dans le même panier, mais je n’ai pas trouvé car je n’ai jamais vraiment galéré. Il y a des moments où il faut prendre un peu d’air, se nourrir d’autre chose, s’apaiser car vivre dans ce

microcosme en permanence, je ne suis pas sûr que ça confère une intelligen­ce particuliè­re.

Quand vous avez commencé, vous a-t-on mis en garde sur les difficulté­s de ce métier?

En 1988, après La vie est un long fleuve tranquille, j’ai eu mon premier agent, Danielle Peccoux, une femme super. À 16 ans, quand je lui ai dit que je voulais arrêter l’école, elle m’a conseillé de réfléchir avant de prendre ma décision. Elle m’a expliqué que mon physique allait évoluer et que je ne serais peutêtre plus un jeune premier. Jeune premier, ça veut dire interchang­eable pour plein de rôles. Un jeune premier a une palette plus large que les autres au cinéma. Il y a beaucoup d’enfants acteurs qu’on choisit pour leur minois, avec ce petit quelque chose de malin et d’espiègle, et puis à l’adolescenc­e, ça change, pas forcément de façon ingrate mais ça ne correspond plus. Ce n’est pas évident car ce sont souvent des enfants qui ont nourri beaucoup d’espoirs.

Êtes-vous plus attentif à eux sur un tournage ?

Quand je me lie d’amitié avec un môme, j’essaie de le protéger. Déjà, un enfant, c’est pas fait pour travailler, normalemen­t, même s’il aime ça. Je me rappelle un gamin qui tournait une scène tout seul dans la flotte. Il y avait trois plongeurs en dessous, par sécurité. Après la première prise, il remonte, on le sèche, les gens lui disent bravo et il me dit: « Je ne veux pas y retourner.» Alors quoi? On renvoie un enfant en pleine mer pour faire une autre prise alors qu’il est terrorisé ? Voilà, à ce moment-là, il y a quelque chose qui me gêne. Il y a une forme d’abus. En ce qui me concerne, j’ai vécu le tournage de La vie est un long fleuve tranquille comme des vacances, ce que je voyais, c’était l’hôtel, les défraiemen­ts, les camarades…

Vivre sous le regard des autres depuis son adolescenc­e, voir sa vie déballée dans les médias même dans les pires moments, comment trouve-t-on la force de continuer?

L’amour… il n’y a que l’amour. C’est le secret. L’amour a toutes les vertus, ça éteint les peurs et ce qui va avec, comme la colère et la violence. Je n’ai pas envie d’évoquer des choses trop personnell­es pour le moment. Je pense que c’est des choses qu’on fait quand on a 70 balais.

Quand la mort approche, il y a peut-être un besoin de se raconter un peu plus. Plus jeune, on m’appelait « le prince du silence », j’étais la hantise des journalist­es, qui se disaient : « Une catastroph­e ! Il ne dit rien, il ne parle même pas des films ou de la musique qu’il aime.» Je répondais que ça ne les regardait pas car je n’avais pas envie que les gens me connaissen­t. Quand on est acteur, on doit être une page blanche pour les cinéastes. Ce sont les rôles qu’on joue qui suscitent leurs désirs, pas les à-côtés.

Peut-on vous demander quelle musique vous écoutez en ce moment?

J’écoute de la musique cubaine, j’aime bien faire de la percussion, je tape sur des tambours.

1. D’Alice Winocour, avec aussi Virginie Efira, Grégoire Colin… En salle le 7 septembre.

2. Pour De son vivant d’Emmanuelle Bercot.

3. En salle le 9 novembre.

4. Le pot-au-feu de Dodin Bouffant de Tran Anh Hung, en salle en 2023.

“Ces dernières années, ce sont des femmes qui m’ont offert les plus belles partitions. Elles m’ont filmé avec une sorte d’affection réelle dans le regard.”

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