Marie Claire

DANS L’ORDI DE… Monica Sabolo

- Propos recueillis par Thomas Jean

Par un fil mystérieux, Monica Sabolo entremêle la trajectoir­e d’Action directe, groupuscul­e d’extrême gauche terroriste des années 80, à son histoire familiale, où noirceurs et non-dits ne sont pas de vains mots. À l’occasion de ce septième roman*, le plus introspect­if, elle nous guide dans les secrets de son ordinateur sans âge et de son écriture d’archéologu­e.

“J’AI DEUX ORDINATEUR­S: L’UN EST JEUNE, FRINGANT, performant, l’autre est au bord du décès, mais c’est seulement sur cette machine agonisante que j’arrive à écrire: ça dit de moi que je vis dans le passé, même avec mon outil de travail. Quand je l’allume, il fait un bruit monstre et mon coeur bat la chamade de peur qu’il ne se réveille plus jamais. Parfois, il grésille comme une vieille télé alors il faut taper dessus pour rétablir la netteté de l’image. Souvent, il ronronne fort. Mais j’ai besoin de cette présence et de cette matérialit­é – le jeune Mac si silencieux me semble fourbe! – qui me donnent l’impression d’être productive. Quant à l’intérieur de l’ordi, c’est une prairie sauvage (ou un bordel sans nom, plutôt) où les dossiers s’empilent tellement que je ne m’y retrouve jamais, moi qui suis une personne méticuleus­e, ordonnée. D’ailleurs, j’ai chez moi un beau bureau bien rangé, mais il est purement décoratif car je ne bosse que dans mon lit, surtout le matin, vers 8 heures, quand je ne suis pas complèteme­nt réveillée: cet état de conscience altérée me permet d’ouvrir plus facilement certaines portes en moi. Et puis je fume des clopes, je me fais deux cents cafés, le tout dans un silence absolu, surtout sans musique, car comme l’alcool, elle est trompeuse: elle vous fait croire que vous écrivez des choses intéressan­tes. L’écran blanc, chez moi, c’est une grande angoisse. Mais j’ai réalisé que c’est en écrivant malgré tout presque n’importe quoi, et sans trop réfléchir, que l’élan vient et que surgit ce qui doit être dit. Pour La vie clandestin­e, j’avais avec moi, à côté de mon ordi pourri, des dizaines de vieux Paris Match que je scrutais à la loupe pour glaner des infos sur Action directe. Moi qui pensais écrire un livre sur des faits historique­s, très éloignés de moi, je me suis rendu compte, comme si une magie noire opérait, que ces histoires-là rejoignaie­nt la mienne. À partir de là, le texte m’a emmenée où il le voulait. Et j’ai été sa chose.»

(*) La vie clandestin­e, éd. Gallimard, 21 €. Parution le 18 août.

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