Marie Claire

De nouveaux standards pour toutes ?

Les fessiers toniques, rebondis et volumineux se sont imposés dans la culture populaire, exaltant des types de beauté jusque-là peu représenté­s. Tendance éphémère ou un vrai changement de paradigme?

- Par Christelle Murhula

En décembre dernier, la plateforme france·tv slash mettait en ligne un nouveau documentai­re, réalisé par Rokhaya Diallo. Son titre? Bootyful. Son thème ? Les fesses. «Des fesses rondes et pleines, c’est aujourd’hui le critère de beauté par excellence », martèle la réalisatri­ce au début du documentai­re. Un critère de beauté évolutif qui en a brusqué plus d’une, à l’image d’Amélie, 32 ans. Elle qui s’est pourtant toujours sentie comme étant «dans la norme» : « J’avais un corps très mince à la fin des années 2000. Pas de seins et pas de fesses. C’est ce qui était valorisé. Maintenant, j’ai l’impression de ne plus être dans le coup. » Aujourd’hui, l’hégémonie de ce type de silhouette­s peut être discutable. En effet, les beaux postérieur­s sont désormais ronds, bombés, volumineux et surtout soulignés.

L’avènement d’un “corps multicultu­rel”

Les fesses font partie d’un nouveau type de corps idéal, qui se présente comme ceci: une taille fine, un ventre plat et des fesses sans cellulite et bien musclées. Ce que Sylvie Borau, enseignant­e et chercheure sur les comporteme­nts liés à la beauté présente comme un « corps multicultu­rel » : « On prend ce qui est considéré comme le plus beau de chaque ethnie: des femmes blanches, des femmes noires, des femmes latinos ou asiatiques… Cela donne un mix des plus belles femmes du monde. » Un modèle incarné par l’Américaine Kim Kardashian et d’autres femmes issues de téléréalit­és à succès. Mais pas seulement. On le doit également à une plus grande diffusion des cultures afro-américaine­s, caribéenne­s ou africaines, plus ou moins liées au hiphop et à la musique r’n’b. Et par conséquent, à une plus grande diffusion de la beauté des personnes qui en émanent historique­ment: les Noir·es et les Latinos. « D’un coup, les modèles non-blancs, en minorité auparavant, ont représenté de nouveaux idéaux de beauté, jusqu’alors inédits », analyse Sylvie Borau. Des nouveaux standards désormais diffusés dans une culture sur-mondialisé­e, et un peu moins vilipendée. Même pensée de la part de Kiyémis, poétesse et auteure de l’essai sur les canons esthétique­s Je suis ton pire cauchemar*, à paraître cet automne. Pour elle, depuis déjà deux décennies, ces cultures affiliées aux milieux populaires, notamment américains, ont imposé peu à peu de nouvelles formes du «beau». «On a eu Jennifer Lopez au début des années 2000, ou les rappeuses Nicki Minaj ou Cardi B plus récemment. Mais cet attrait pour les fesses est à situer dans un contexte particulie­r, notamment celui de la danse », analyse-telle, citant le twerk et la mapouka ivoirienne qui sexualisen­t le corps féminin, mettant en avant les fesses en action.

Des canons pas forcément pérennes

Les fesses voluptueus­es sont considérée­s comme faisant partie d’attributs corporels censés être caractéris­tiques du corps des femmes noires. Et cela remonte à plusieurs siècles, avec la figure de Saartjie Baartman, appelée la Vénus hottentote ou Vénus noire. Esclave née vers 1788 en Afrique du Sud, cette femme a été exhibée dans des zoos humains en Europe centrale dans les années 1810 à cause de la taille de ses fesses. Depuis, si avoir un postérieur conséquent est aujourd’hui acceptable dans certains milieux, les premières concernées, les femmes noires, peuvent les assumer… selon leur degré de couleur. «Cela reste acceptable seulement lorsqu’elles ont la peau claire, analyse la chercheuse Sylvie Borau. Car plus on est claire de peau, plus on est considérée comme féminine. » Un point de vue partagé par Kiyémis pour qui, dans l’imaginaire de la beauté, « plus une femme qui a des grosses fesses est foncée, plus elle est regardée comme vulgaire». En cause, ce que l’on appelle « le colorisme », soit une discrimina­tion intercommu­nautaire selon la peau : les plus claires étant considérée­s comme plus jolies. Les standards de beauté fluctuent au fil des siècles, il faut donc se demander si les fesses rebondies comme nouvel idéal resteront pérennes. Et surtout, auprès de qui. « Je ne suis pas sûre que dans la haute bourgeoisi­e, les femmes les soulignent autant», s’interroge Kiyémis, pour qui ce nouveau canon résonne surtout chez les classes moyennes et populaires. «Plus on monte dans l’échelle sociale, plus il est en réalité quasi inexistant », observe-t-elle. D’ailleurs, Kim Kardashian les met de moins en moins en avant (depuis qu’elle a entamé des études de droit?). Certain·es fans la soupçonnen­t même d’avoir eu recours à une opération de réduction de leur volume il y a quelques mois. Pour déjà amorcer une nouvelle tendance?

(*) Éd. Albin Michel.

Assistante stylisme Manon Baltazard. Mannequins Ashley/ Makers et Laetitia/Makers. Casting Nicolas Bianciotto/IKKI, assisté de Lylia Bokélé. Coiffure Nicolas Philippon/Call My Agent, assisté de Gwen Joncour. Maquillage Marielle Loubet/Calliste, assistée de Rocio Roldán. Manucure Eri Narita. Production Zoé Martin/Producing Love, assistée de Ludovic Del Puerto, Margot Bootz et Donatien Bossy.

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