FLEMME LIBÉRÉE
Il est minuit en ce début août. Mon esprit vagabonde déjà vers les vacances mais le magazine n’est pas «bouclé». Loin de Paris mais pas encore de l’ordi. Il est minuit et je n’ai toujours pas écrit mon édito, ce rituel où je vous accueille, chères lectrices, en vous invitant à savourer ce moment de plaisir qui s’offre ici à vous – lire Marie Claire, vous informer, vous divertir, être émue j’espère, rêver, en particulier devant les séries voyageuses de ce numéro Spécial mode imaginé par Darcy Backlar, styliste raffinée et rédactrice en chef mode du magazine (pp. 162 à 225). Sauf que… Flemme, comme disent les ados. Il est minuit et je n’ai pas commencé. Je me suis laissée happer. J’écoute le dernier titre de Beyoncé, Break my Soul, déjà érigé en «protest song» de la «génération flemme» aux États-Unis, ces gens jeunes et moins jeunes qui revendiquent la glande comme nouvelle philosophie de vie. « Libère ton travail / Libère le temps / Libère le stress / (…) Je suis sur le point d’exploser / Enlève cette charge / Relâchetoi », clame Queen B, jusqu’ici « workaholic » notoire – en pleine révolution copernicienne, donc, la Bey. Lisez notre enquête p. 128, qui décode ce grand mouvement plus subversif qu’il n’y paraît, où l’on pose des limites au don de soi. Où l’on se réapproprie la flemme comme un noble temps pour soi. Où le besoin assumé de paresse n’est plus une honte ou une tare mais peut-être un gage de liberté et de créativité.
Étudiante en journalisme, j’avais écrit à J.M.G. Le Clézio pour lui demander ce que devrait être, selon lui, le «temps libre». Il m’avait griffonné sa réponse (photo), géniale, sur un papier à en-tête d’un hôtel de Francfort: «J’aimerais vous parler des Indiens d’Amérique, qui avaient si bien réussi (pour la plupart) à intégrer le temps aux valeurs morales (…). Cependant, j’ai le sentiment que nous nous éloignons, ici en Occident, de cette idée généreuse à la vitesse des corps célestes. »
Sur ces mots emplis de sagesse, je vous souhaite une merveilleuse rentrée, chic et joyeuse comme la mode de cet automne vue par Marie Claire. En préservant un peu temps pour revendiquer fièrement votre droit à la flemme!
Katell Pouliquen, directrice des rédactions