Marie Claire

ALAIN LA PHOTO D’ENFANCE MABANCKOU

L’écrivain et enseignant franco-congolais, qui publie Le commerce des Allongés*, se rappelle ses 9 ans à Pointe-Noire. Les jets de pierre dans le dos de son ami Donghi, son cousin “Magicien” et la mère de celui-ci, dont “tout le monde avait peur”.

- Par Marina Rozenman

“J’AI 9 ANS. ET NOUS SOMMES, LÀ, TROIS GAMINS, TROIS GUGUSSES AU SUMMUM DE LA SAPE! Le pre-mierà gauche, c’est “Magicien”. “Magicien” parce qu’il est jumeau donc censé avoir des pouvoirs surnaturel­s mais, en fait, il était le plus peureux… Au milieu, c’est Donghi, le plus petit mais il était terrible. Il visait bien quand il vous lançait une pierre dans le dos ! Et moi, je suis à droite. Et j’étais plutôt un suiveur qui pensait que les autres étaient plus doués en tout. Donghi était le voisin de “Magicien”, qui est mon cousin direct mais, de toute façon, dans nos langues, il n’y a pas le mot “cousin”. On dit nos “frères” ou “la famille”. En tout cas, j’étais fils unique et cette fratrie, c’était comme une carapace qui me protégeait contre la solitude. On jouait au cerceau, ou on allait sur la Côte sauvage pour aider les pêcheurs béninois. “Magicien” et Donghi vivaient dans le quartier Rex. Nous, de l’autre côté, dans celui de Voungou. Il fallait traverser un pont. Il y avait une bonne heure de marche. Et ce n’est pas comme en France où, quand vous avez rendez-vous avec quelqu’un à Sarcelles, par exemple, eh bien vous vous rendez à Sarcelles, point. Chez nous, il y a toujours des bifurcatio­ns. On laisse place à la surprise. On savoure l’instant. La rigidité ne peut pas gouverner nos existences. Et l’enfance, c’est ça : un oiseau vient vous distraire ? Vous prenez le temps de le regarder. Ou vous vous arrêtez pour écouter des légendes urbaines : “Tu sais, ce commerçant, s’il a beaucoup de clients, c’est parce qu’il a posé un miroir qui les attire…” Je me drape encore aujourd’hui de cette insoucianc­e. Et quand ma mère me menait pour toute une semaine chez le “Magicien”, c’était parce qu’à la maison, je n’avais pas faim alors que chez lui… je mangeais comme pas possible. Les menus étaient différents, les repas, une activité collective, et sa mère une sorte de Margaret Thatcher dont tout le monde – y compris l’oncle Albert – avait peur! (Il rit.) »

(*) Éd. du Seuil.

“Donghi, au centre, était le voisin de ‘Magicien’, à gauche, qui est mon cousin direct, mais dans nos langues, il n’y a pas le mot ‘cousin’. On dit nos ‘frères’ ou ‘la famille’. En tout cas, j’étais fils unique et cette fratrie, c’était comme une carapace qui me protégeait.”

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Le futur auteur (à d.) et ses «frères» à Pointe-Noire, au Congo, en 1975.

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