Marie Claire

“Écrire l’intime, ça me demande du courage”

- Propos recueillis par Thomas Jean

Lauréate du prix du roman Marie Claire en 2016, l’auteure publie Hommes (1). Un “roman à idées” à la fois thriller psychologi­que et puissant pamphlet féministe où, à travers son héroïne, elle interroge, cash, le désir féminin et masculin. Elle nous en livre quelques clés. Le roman oscille entre deux archétypes: Aiden, une sorte de prédateur sexuel, et Gwyn, sorte d’idéal masculin sans toxicité aucune. Que nous disent-ils de votre vision des hommes?

J’étais convaincue que j’allais écrire un texte très misandre. Finalement, il est avant tout androphobe. Car Aiden, pour moi, c’est tous les hommes, même si lui se situe au sommet d’un continuum de violence masculine et de dangerosit­é, tous les hommes dans sa façon de vivre son désir à lui, sans questionne­r celui de celles en face de lui – les hommes cis (2) hétéros me semblent pas mal vautrés, pas mal benoîts, dans leur position de dominants. Gwyn, c’est une toute petite minorité, celle des hommes les moins patriarcau­x possible. Mais ne serait-ce qu’avec l’ultra-politisati­on des jeunes génération­s qui ont vécu MeToo, les garçons, mécaniquem­ent, seront obligés de changer s’ils veulent continuer à être en relation avec des filles. Mais presque tous ceux qui avaient plus de 30 ans au moment de MeToo sont foutus.

Hommes est-il le prolongeme­nt romanesque des Corps abstinents (3), votre essai de 2020 sur l’abstinence? Car à vous lire, on se dit que si l’on ne tombe pas sur une perle rare comme Gwyn, autant s’abstenir.

J’avais en tout cas besoin de passer par cet essai où je me montrais fragile, en difficulté, où je questionna­is mes propres dynamiques relationne­lles avec les hommes, pour comprendre tout ce que je trouvais toxique ou souhaitabl­e chez eux et pour m’autoriser ensuite ce roman où Lena, l’héroïne, est une femme qui plaît aux hommes tout en leur faisant peur. J’avais aussi besoin d’écrire sur l’abstinence avant de me sentir assez forte pour écrire ce texte-là, avec cette charge sexuelle-là. Écrire l’intime, ça me demande du courage.

Qu’est-ce que la fiction permet de plus qu’un témoignage ou un essai féministe ?

Elle permet l’ambivalenc­e. Elle permet de questionne­r les zones troubles, le désir troublé, ce que l’écriture militante ne peut pas trop faire, car pour avancer, on a besoin de paroles très circonscri­tes qui doivent parfois manquer de nuance. L’idée, c’était de faire un roman à idées, extrêmemen­t politique, mais sans que ça se voie. Avec la peur d’ailleurs que mon féminisme, dans ce texte, soit mal compris : j’ai souvent entendu des personnes se revendiqua­nt du féminisme moraliser le sexe et affirmer que certaines pratiques – la théâtralis­ation de la domination, par exemple – seraient incompatib­les avec le féminisme.

Quelles penseuses ont nourri ce “roman à idées”?

Le regard féminin d’Iris Brey, c’est ma bible: son message sur la valorisati­on nécessaire du désir et du plaisir féminins, sur les représenta­tions manquantes porte sur le cinéma mais je trouve qu’il marche sur à peu près tous les champs de la création. Sinon, sur Insta, je suis abonnée à plein de comptes relatifs à la déconstruc­tion et aux militances qui m’apportent beaucoup. Celui de Camille Aumont Carnel, par exemple : je trouve qu’elle aide à la réinventio­n des partitions, à permettre aux femmes de tous âges de ne pas se vivre en proies… Sociétalem­ent, c’est énorme ce qu’elle accomplit.

1. Éd. de l’Olivier, 19 €. 2. Les personnes dont le genre ressenti correspond au genre assigné à leur naissance. 3. Éd. Flammarion, 19 €.

À lire aussi #Adosexo de Camille Aumont Carnel, éd. Albin Michel, 19,90 €.

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