Marie Claire

DRÔLE D’ICÔNE

- Euphorie d’Elin Cullhed

Ce roman d’Elin Cullhed, auteure suédoise, sur la dernière année de vie de l’écrivaine Sylvia Plath, celle qui précéda son suicide par le gaz, on ne l’imaginait pas si fantasque et désopilant. Il faut dire que Plath, même quand elle racontait dans La cloche de détresse*, texte autobiogra­phique de 1963, sa dépression profonde et son passage en clinique psychiatri­que, excellait à faire étinceler la noirceur, à l’habiller d’atours somptueux, voire à la moquer.

Cette dispositio­n d’esprit-là, Elin Cullhed l’épouse sans la pasticher, inventant une langue en ébullition à l’intérieur de laquelle explosent des images aussi jouissives qu’inconforta­bles, et qui, quand la fin tragique approche, se gonfle ici et là de mots en lettres capitales (comme on le dit d’une peine), comme pour transcrire au mieux les cris intérieurs de l’héroïne. Cette Sylvia Plath que façonne Cullhed est une femme en dents de scie : elle fait montre d’un ego dément doublé d’une estime de soi chancelant­e, tombe en pâmoison devant la campagne anglaise, où elle réside, puis l’instant d’après vitupère contre ses pesanteurs vermoulues, déborde d’amour pour son mari, le poète Ted Hughes, qu’elle maudit tout autant, lui qui a le temps d’écrire d’arrache-pied, de socialiser à Londres, de draguer à tout va pendant qu’elle s’occupe des enfants ou cuisine des tartes, ce dont sa carrière pâtit. À l’arrivée, un roman-déflagrati­on où charge mentale, affres de la création et fragilités psychiques s’entrechoqu­ent à la manière d’une volée de cloches superbemen­t dissonante­s. Thomas Jean

Traduit du suédois par Anna Gibson, éd. de l’Observatoi­re, 22 €.

(*) Éd. Gallimard, 10,80 €.

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