Marie Claire

ARCHÉOLOGI­E D’UN EXIL FAMILIAL

- Les exportés de Sonia Devillers

Sonia Devillers avait une grand-mère à part. Gabriela était cultivée et polyglotte, mélomane et sportive. Gabriela était aussi roumaine et fière. Ces deux derniers éléments expliquent l’existence du récit habité de la journalist­e de France Inter, Les exportés. Si Gabriela avait été moins soucieuse de n’afficher que les pans positifs de son histoire, Sonia aurait moins eu à creuser. Si elle en avait dévoilé plus sur les conditions de son départ de Roumanie pour Paris en 1961, ce pays – qu’alors, en pleine guerre froide, on ne pouvait pas quitter – ne serait pas resté si longtemps « un trou au milieu de l’Europe ». Sonia Devillers fait alors de l’archéologi­e familiale. Sans doute ce qu’il y a de plus difficile. Confronter la parole – ou l’absence de celle-ci – à ce que disent certains livres d’histoire pour réinjecter un peu de vérité dans le narratif transgénér­ationnel. Raconter, surtout, ces innommable­s listes remplies de noms de Juifs dont le régime communiste faisait commerce, trafic humain découvert à sa chute. Noir sur blanc, elle y voit ses grands-parents et même sa mère, mis à prix et monnayés contre «des bêtes à haut rendement ». Alors tout remonte… Les skis qu’ils ont continué de cacher en France (les Juifs ne pouvaient en disposer pendant la guerre). Les souvenirs narrés à moitié. Et cette pointe de vanité qui n’était qu’une façon de retrouver un peu de dignité. Avec ce livre-quête qui vient troubler notre ignorance et toucher l’âme, la petite-fille de Gabriela est un peu plus roumaine et elle peut être fière. Lisa Vignoli

Éd. Flammarion, 19 €.

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