Marie Claire

“AGIR, C’EST S’ENGAGER AUPRÈS DES AUTRES, MAIS AUSSI DE SOI”

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Chaque mois, la philosophe Marie Robert partage quelques principes pour rendre le quotidien plus léger. En novembre, elle s’interroge sur le sens de l’engagement et convoque Hannah Arendt et sa “vita activa”, cet élan intérieur qui nous pousse vers l’inédit. « C’est une sorte de frisson qui remonte le long de notre colonne vertébrale. Un picotement dans le coeur en lisant l’actualité. C’est une pulsion vive, une évidence qui vient nous cueillir au creux du ventre. C’est le souffle de la révolte, l’impossible indifféren­ce. C’est l’envie farouche de remettre un peu d’harmonie sous nos yeux. C’est le désir brûlant de “s’engager”. Oui mais voilà, aussitôt cette fougue ressentie, l’ombre des doutes vient déjà la ternir. Et si ? Et si nous n’étions pas légitimes ? Et si tout cela était vain ? Une goutte d’eau peut-elle changer la couleur de l’océan ? Et puis, par où commencer ? Terrassé·e par nos pensées confuses, on se laisse emporter dans la tourmente de nos questionne­ments et, démuni·e, on s’enfonce dans notre canapé, écartelé·e entre notre culpabilit­é et notre impuissanc­e. Peut-on vraiment en rester là? Céder aux sirènes de l’inaction ?

Dans ce monde complexe, nous sommes souvent submergé·es par des évènements qui nous échappent et nous pouvons toutes et tous éprouver la tentation de nous retirer du monde en espérant ne plus entendre le chaos. Mais c’est oublier un peu vite que notre épanouisse­ment passe précisémen­t par la sensation d’avoir une place dans la société. Le sens de nos existences ne provient pas seulement de la satisfacti­on de nos besoins primaires, il s’éclaire quand on est fier de nousmêmes, quand on emprunte un chemin qui nous semble juste et cohérent. Mais comment savoir si ce chemin nous convient avant même de l’avoir emprunté ? Et si, au contraire, notre parcours se précisait à mesure qu’on se mettait en route? Et si, finalement, c’était le premier pas qui allait enclencher tous les autres ?

“La seule chose qui compte, c’est d’être capable de ressentir l’élan en soi et de l’honorer.”

C’est ce que nous propose la philosophe Hannah Arendt lorsqu’elle parle de “vita activa”. Par cette expression latine, elle désigne l’action, la mise en mouvement. Rendre sa vie “active”, c’est se lancer, c’est plonger vers l’inédit, c’est oser faire usage de notre liberté. Cette “vita activa” nous met en rapport avec les autres hommes. Agir consiste donc à s’engager auprès des autres, mais aussi à s’engager auprès de soi. Quel individu je veux être ? Quel est mon rôle sur cette Terre ? Quels sont mes liens? Ce n’est jamais vraiment le “bon moment” de s’engager, car ce “moment parfait” n’existe pas. La seule chose qui compte, c’est d’être capable de ressentir l’élan en soi et de l’honorer. Alors qu’importe si “ce n’est pas assez”, qu’importe la “goutte d’eau” pourvu que le vent commence à souffler.»

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