Marie Claire

MARION COTILLARD Glam soeur

- Par Thomas Jean Photos Tom Craig Réalisatio­n Darcy Backlar (*) D´Éric Warin et Tahir Rana, avec les voix de Marion Cotillard, Romain Duris… En salle. À venir Astérix & Obélix: L’empire du milieu, de et avec Guillaume Canet, avec aussi Gilles Lellouche, V

Derrière le charme et les bonnes manières de l’actrice star, “à l’intérieur, ça bouillonne”, nous dit-elle en préambule. Révoltée lorsqu’on évoque le réchauffem­ent climatique, l’inertie politique ou les injustices dont les femmes sont victimes, c’est avec la même passion qu’elle nous parle de Newtopia, l’agence de production qu’elle vient de cofonder. Une structure à travers laquelle elle entend proposer des “récits ambitieux pour imaginer un monde soutenable et durable”. C’est sa manière, fonceuse et responsabl­e, d’agir, entre ses obligation­s familiales et les tournages alors qu’on la retrouvera cet hiver dans Astérix & Obélix: l’empire du milieu et qu’elle vient de prêter sa voix au beau film d’animation Charlotte*. Jour après jour, elle s’engage pour demain. Et en l’écoutant, on a furieuseme­nt envie de la suivre. 9 heures tapantes un lundi matin d’octobre. La voix qui nous parle à l’autre bout du fil trahit un soupçon d’éraillemen­t – l’anniversai­re, peutêtre, son 47e, qu’elle a fêté deux jours avant – mais rien de monocorde chez Marion Cotillard. Certes, le ton est posé, le débit adagio, avec le temps qu’il faut pour que vienne le mot juste quand il s’agit de défendre les engagement­s socio-environnem­entaux qu’elle porte depuis deux décennies. Mais le ton monte vite dès qu’une colère la traverse, dès qu’un non-sens lui saute à la figure, actrice atterrée par l’incurie de nos dirigeants à l’endroit de l’écologie et par la persistanc­e des inégalités femmes-hommes. Sur tous les fronts, on l’a vue dans une vidéo virale, à laquelle Binoche, Adjani, Huppert et autres célébrités ont aussi participé, se couper une mèche de cheveux en soutien aux Iraniennes qui luttent pour leur liberté – avec, en corollaire, des critiques qui ont surgi sur les réseaux sociaux quant à la portée potentiell­ement vaine du geste des actrices… Sur l’écologie, Marion Cotillard dit souvent : « Il y a du boulot. » Et elle en prend sa part: en juin dernier, elle a fondé, avec ses camarades Cyril Dion – le réalisateu­r planet-friendly à qui l’on doit, coréalisé avec Mélanie Laurent, le documentai­re à succès Demain – et Magali Payen – experte en mobilisati­ons citoyennes –, la société de production Newtopia. Des films qui s’emparent d’un monde à changer, inclusifs, les plus vertueux possibles dans leurs conditions de réalisatio­n… Voilà ce qui, de cette boîte de prod d’un nouveau genre, sortira (au programme, entre autres, une mini-série sur la pionnière de l’écoféminis­me Françoise d’Eaubonne et une adaptation, par Cyril Dion, d’un roman utopiste de Pierre Ducrozet). Elle porte et compte, la voix de Marion Cotillard. Elle mute et se grime, aussi, se parant d’inflexions qu’on ne lui connaissai­t pas dans le film d’animation Charlotte : l’actrice y double Charlotte Salomon, jeune juive allemande martyrisée par le régime nazi, peintre prodige surtout, dont on redécouvre depuis peu les toiles foisonnant­es, et c’est avec, dans la voix, des teintes automnales, angoissées, lumineuses, qu’elle lui donne chair. Ce lundi, c’est une actrice-icône, l’une des rares Françaises qui, à Hollywood, s’est fait un nom pérenne (James Gray, Christophe­r Nolan, Robert Zemeckis et d’autres l’ont enrôlée), qu’on interroge, rompue aux usages de l’interview, chez qui rien de trop privé ne filtre : sur sa séparation récente d’avec Guillaume Canet, elle nous fera comprendre en toute amabilité qu’elle restera coite. En fond sonore de notre discussion, il y a un moteur qui ronronne, des clignotant­s qui s’allument, un tunnel parfois. Elle est sur le chemin de l’école, celle de son fils, intimant à celui-ci, en aparté, d’enfiler son manteau pour ne pas aggraver sa crève, puis riant, une fois la portière claquée par le garçon de 11 ans, du fait que, bientôt, il refusera qu’elle le dépose devant le collège. Voix de superstar, voix de pasionaria, peut-être, mais dont les accents spontanés de Madame Tout-le-Monde nous charment par-dessus tout.

• • • Que ressentez-vous face aux tableaux de Charlotte Salomon, cette peintre juive allemande des années 30-40 à laquelle vous prêtez votre voix? Il y a dans son travail un mélange de naïveté et de puissance que je trouve singulier, vibrant, et qui m’a bouleversé­e. J’aime aussi ces écritures qu’elle inscrit dans ses tableaux: comme dans les graffitis (quand ils sont bons), cette revendicat­ion par le mot me semble forte. Ceux qui écrivent sur les murs ou, comme elle sur la peinture, me touchent, sans que je sache expliquer pourquoi.

Comme si c’était la voix intérieure de l’artiste qui parlait?

Il m’arrive non pas de peindre, mais de faire des collages : je n’oserai jamais appeler ça «oeuvres d’art», mais disons que c’est une activité créative que je fais totalement dans mon coin, que je ne partagerai jamais avec personne et qui me fait du bien. Et sans que j’aie besoin que quiconque décrète que j’ai un talent particulie­r pour ça! Et du coup, dans mes collages, j’insère moi aussi des mots : comme une partie de moi-même, oui, à qui je parlerais…

Comment avez-vous composé la voix de Charlotte, et comment, malgré son destin si tragique, elle qui a été assassinée à Auschwitz, fait-on pour ne pas tomber dans le pathos? Dans ce dessin animé, il y a à la fois la naïveté, la simplicité du trait et la dureté de ce qu’on raconte. Je pense qu’on entend tout ça dans ma voix : un calme apparent, même si à l’intérieur, ça bouillonne. Charlotte a vécu des choses extrêmemen­t violentes, mais toute cette violence, celle qu’a subie une jeune fille juive parce qu’elle était juive, elle l’a mise dans son art, elle s’est battue avec sa peinture. Elle, à l’inverse de ses toiles, n’avait rien d’une figure dramatique.

Vous avez fait beaucoup de doublages de dessins animés. C’est une liberté de n’incarner un personnage que par la parole, sans que votre visage ou votre corps n’entrent en jeu?

C’est sûr que ça me prend moins de temps le matin pour me préparer ! Mais cet aspect-là est mineur: ce que le dessin animé me permet d’aborder, même si j’essaie toujours de trouver ma liberté quand j’incarne physiqueme­nt quelqu’un, ce sont des personnage­s plus fous que ceux que le cinéma me propose…

Elle était quand même un peu folle, dans Les fantômes d’Ismaël de Desplechin, cette Carlotta que vous interpréti­ez, qui revient dans la vie de son mari comme si de rien n’était alors qu’on la croyait disparue, non?

Ah vous la voyez comme ça, vous, cette pauvre fille? Zinzin, peut-être. Perdue, en tout cas. Mais on n’est pas non plus dans la méchante psychopath­e, comme cette Scarlet Overkill que je doublais dans Les Minions et avec qui je m’étais éclatée. Pour elle, j’avais inventé un rire de sorcière folle, genre « AHAHAH » (elle mime le rire, le téléphone grésille, ndlr), j’avais complèteme­nt transformé ma voix, avec ce truc pété du casque que seul le dessin animé permet et que j’adore comme spectatric­e – d’ailleurs, même avant d’avoir des enfants, je ne ratais pas un Pixar ni un Miyazaki.

Charlotte nous raconte aussi la trajectoir­e d’une artiste femme dont l’oeuvre a été invisibili­sée par l’histoire. Vous êtes sensible à cet aspect-là?

Ah oui! On a tous à prendre conscience que dans l’art, mais aussi la science, la mode, la gastronomi­e, dans tous les domaines en fait, il y a eu un effacement des femmes. Ça s’explique par le patriarcat, le pouvoir que s’accaparent les hommes, l’accès à l’éducation, moins grand pour les femmes que pour les hommes, mais il faut continuer à creuser le pourquoi de cette mise à l’écart (il y a du boulot) pour qu’un jour, j’espère, on puisse regarder une oeuvre au-delà du sexe de celui ou celle qui l’a créée. Et puis, plus matérielle­ment, parlons aussi des salaires: qu’on ait encore à se battre pour que les femmes, quel que soit leur métier, soient payées autant que les hommes, c’est révoltant.

Vous avez déjà tapé du poing sur la table pour être payée au même niveau qu’un confrère acteur?

Non, car je ne me suis jamais retrouvée en situation de l’exiger. Quand un homme a été mieux payé que moi, c’est qu’il avait un rôle plus important ou une notoriété plus grande et ça, je l’entends.

J’ai déjà été mieux payée qu’un homme pour les mêmes raisons. Mais à métier et à niveau égal, qu’une actrice soit moins payée qu’un acteur, ça n’a pas de sens et ça doit cesser.

Contrairem­ent aux États-Unis, où Jennifer Lawrence ou Patricia Arquette s’expriment haut et fort sur le sujet, on entend peu de voix, ici, pour dénoncer les inégalités salariales…

On vit dans un pays qui n’a pas le même

rapport à l’argent: parler de son salaire, en France, c’est beaucoup moins admis!

Il y a quelques années, dans une interview sur France Inter, vous regrettiez de n’avoir pas assez joué avec d’autres actrices. Qu’est-ce qui vous exalte si spécialeme­nt quand vous partagez l’affiche avec une autre?

J’ai une passion pour les actrices. À chaque fois que j’ai travaillé avec l’une d’elles, un lien particulie­r, une sororité profonde se sont créés. Quand on est actrice, on traverse des choses magnifique­s, mais d’autres extrêmemen­t dures aussi, alors j’ai l’impression que sur la place du féminin dans ce métier, sur la manière dont on est regardées, sur ce qu’on vit, on se comprend, entre actrices. Je viens de tourner avec Kate Winslet, Noémie Merlant et Zita Hanrot (dans Lee, biopic sur la photograph­e Lee Miller réalisé par Ellen Kuras, ndlr) et immédiatem­ent, comme quelque chose qui éclate au grand jour, j’ai éprouvé un grand amour pour ces femmes. Oui, nous formions une sorte de groupe d’amour et c’était très beau.

Vous êtes coproductr­ice de Charlotte : qu’est-ce qui vous intéresse dans cette fonction-là ?

J’adore ça. Le rôle de la productric­e, c’est de s’engager totalement sur un film, participer de façon globale à sa création, comme je l’ai fait pour le

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“J’ai envie d’accompagne­r les scénariste­s, les réalisateu­rs et les réalisatri­ces pour qu’ils imaginent une société évolutive, vertueuse.”

documentai­re de Flore Vasseur • • •

(Bigger than us, mosaïque de portraits de jeunes activistes, ndlr). C’est aussi être garante du rêve du réalisateu­r qui parfois peut se perdre, s’éloigner de ce qu’il souhaitait au départ, alors à moi de le ramener vers ses envies initiales, car je suis censée avoir le recul nécessaire. C’est une place très intéressan­te à occuper.

En juin dernier à Cannes, vous avez lancé, avec le réalisateu­r Cyril Dion et l’activiste Magali Payen, une société de production nommée Newtopia destinée à proposer “des récits ambitieux pour imaginer un monde soutenable et durable”. Qu’est-ce qui a motivé Newtopia, pour vous qui êtes très écoconscie­nte, la frustratio­n face à un monde du cinéma qui ne se montre pas très concerné par la crise climatique? Pas la frustratio­n, mais l’envie d’accompagne­r scénariste­s, réalisateu­rs et réalisatri­ces pour qu’ils nous montrent un monde en mouvement, pour qu’ils imaginent une société nouvelle, évolutive, vertueuse, car force est de constater que celle dans laquelle on vit est autodestru­ctrice. Avec Newtopia, il y a une volonté enthousias­mante d’ouvrir l’esprit de ceux qui, par le cinéma, ont pour métier de nous raconter des histoires.

Qu’est-ce qui vous enthousias­me chez Cyril Dion, le réalisateu­r comme l’activiste écologique, dont Newtopia va produire le premier film de fiction? C’est quelqu’un qui m’a beaucoup appris. Il a une expertise et une connaissan­ce absolument remarquabl­e de la manière dont l’être humain s’autodétrui­t. Mais il fait face à ses peurs intimes, et même les partage en toute générosité, les livre avec toute son émotion et son humanité, et c’est pour ça qu’il est très écouté.

La production d’un film, c’est souvent beaucoup de voyages en avion, des camions, du monde à nourrir, des tonnes de plastique… Comment peut-on verdir tout ça?

Le cinéma est effectivem­ent une industrie polluante. Mais il y a beaucoup de postes sur lesquels on peut intervenir. De plus en plus d’entreprise­s proposent d’ailleurs des audits pour aider les production­s de films à être plus vertueuses. Ça commence par de petites choses, comme réduire le gâchis, remplacer le plastique par des gourdes – à une époque, sur les tournages, on nous donnait des dizaines de gobelets d’eau par jour dès qu’on avait soif – porter une attention particuliè­re à la cantine, trier les déchets sur le plateau… Les ÉtatsUnis, là-dessus, sont plus en avance que nous. Je me souviens, sur le tournage d’Inception (de Christophe­r Nolan, ndlr), où Leonardo DiCaprio, très engagé sur ces questions, était là, des panneaux solaires fournissai­ent l’énergie nécessaire à toutes les machines. Il y a plein de progrès possibles et on devrait d’ailleurs imposer une charte de vertu dans la production cinématogr­aphique – mais aussi dans la mode et dans toute industrie polluante. C’est toute une rééducatio­n qu’il faut engager.

Comment réagissez-vous à l’inaction, ou du moins à l’action très insuffisan­te, en France notamment, de l’État et des gouverneme­nts sur la question climatique ?

Je suis dépitée. Quand on s’engage en politique, j’imagine qu’on a le désir d’accompagne­r la société, de la transforme­r, de faire en sorte que les gens vivent bien, ensemble, dans cet air commun dont il faut prendre soin. Mais le pouvoir abîme: quand on voit les guerres internes, les manipulati­ons au sein des partis, la façon dont les politiques se fichent de ceux par qui ils sont élus, ça entame la beauté de leur fonction. Je suis dépitée par le non-engagement, par l’inaction et pire, par les actions qui vont à l’encontre de ce qu’il faudrait faire.

Comment éduquez-vous vos enfants aux enjeux écologique­s?

Le soir, au dîner, on parle beaucoup de cela. Ma fille est encore un peu petite (5 ans, ndlr) mais mon fils (11 ans, ndlr) est déjà très sensible aux questions environnem­entales, humaines, et réagit à l’actualité. Par exemple, il est fan de foot et du PSG : j’ai été tellement choquée par ce qui s’est passé avec Kylian Mbappé et Christophe Galtier (qui, lors d’une conférence de presse, ont traité la question des voyages en jets de l’équipe avec désinvoltu­re et ricanement­s, ndlr) que je lui ai montré la vidéo. Ça l’a mis très en colère. Il ne comprenait pas comment ces deux-là pouvaient se comporter comme ça… Bon, peut-être que je lui ai transmis ma colère tellement moi j’étais furieuse !

Ça veut dire que vous ne regarderez pas les matchs de la coupe du monde au Qatar?

Certaineme­nt pas !

En matière de questions environnem­entales, on a tou·tes nos contradict­ions. Les vôtres, quelles sont-elles ?

L’avion, bien sûr. Mais je le prends beaucoup moins qu’à une époque.

Si on vous propose un tournage à l’autre bout du monde, il se peut que vous le refusiez ou quand même pas?

Il se peut que je le refuse mais je dois être honnête: plus pour mes enfants que pour l’écologie… Sinon, j’ai mes contradict­ions, aussi, sur les vêtements. J’en consomme, là encore, beaucoup, beaucoup moins qu’avant, mais je dois bien avouer que quand j’achète aujourd’hui un vêtement, c’est plus pour me faire plaisir que par nécessité – tout en me questionna­nt quand même beaucoup !

Vous avez eu 47 ans il y a deux jours. Vous les avez fêtés dignement? Dignement, je ne sais pas si c’est le mot le plus approprié ! Mais j’aime faire la fête, j’aime réunir mes amis. Pas forcément pour être au centre de l’attention, ce n’est pas ça qui me plaît, mais pour avoir une occasion de rassembler. Et puis j’ai un rapport plutôt tranquille au fait de vieillir, donc oui, c’était bien !

Assistante stylisme Agathe Gire. Coiffure Perrine Rougemont/Caren. Maquillage Christophe Danchaud/B Agency. Set design Samirha Salmi/Swan Management, assistée d’Antoine Auboiron. Production Guillaume Folliero de Luna/You Know My Name, assisté de Nicolas Ferrand.

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Veste en tweed, bracelet en métal et laque, et bottines en cuir Chanel. Ear cuffs et bagues Coco Crush, en or beige et or blanc Chanel Joaillerie.
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 ?? ?? Débardeur en cachemire et jupe en tweed Chanel.
Ear cuffs et bagues Coco Crush, en or beige et or blanc
Chanel Joaillerie, montre Première Chanel Horlogerie.
Débardeur en cachemire et jupe en tweed Chanel. Ear cuffs et bagues Coco Crush, en or beige et or blanc Chanel Joaillerie, montre Première Chanel Horlogerie.

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