Marie Claire

DANS L’ORDI DE… Lola Lafon

- Propos recueillis par Thomas Jean Photo Thomas Laisné

À partir de la nuit qu’elle a passée au musée Anne Frank, à Amsterdam, l’écrivaine a composé Quand tu écouteras cette chanson*. Un texte bouleversa­nt où ses souvenirs et sa propre identité s’adossent à la trajectoir­e de la jeune femme assassinée à BergenBels­en. Une réflexion sur l’écriture, aussi, et l’occasion pour l’autrice de nous raconter comment naissent ses récits sur son écran fatigué.

“SI VOUS VOYIEZ MON ORDINATEUR, VOUS SERIEZ CONSTERNÉ. J’ose à peine vous le décrire. C’est un appareil portable vraiment très vieux, tout recouvert de scotch car il ne tient plus tout seul. Et il a une particular­ité importante, c’est que deux à trois fois par jour, il sélectionn­e tout seul, au hasard, des paragraphe­s entiers de ce que j’écris, puis paf ! les efface. Alors on me dit : “Mais arrête d’écrire là-dessus”, car personne de sain d’esprit ne travailler­ait sur une machine pareille, mais moi je sais pourquoi je la garde : cette forme de menace sur le texte me maintient dans une acuité folle, si bien que j’écris au taquet, très au présent. Quand tu écouteras cette chanson, je l’ai même écrit dans un état d’urgence : ma mère étant tombée très malade à ce moment-là, j’ai dû condenser le travail de plus en plus tôt le matin pour aller la voir après. Urgence, mais bagarre aussi. Tous les jours, je repasse sur ce que j’ai fait la veille, et il y a toujours un moment très très déprimant pour tous mes livres, où je constate, désemparée, au bout de 70-80 pages, que ça ne va pas du tout. Que je n’ai rien compris… J’ai aussi un autre ordinateur, petit et léger, sur lequel je prends des notes – car à la main, j’écris très mal. Cet ordi-là, je l’ai emporté chez Anne Frank pour laisser tout ouvert en moi, noter sans limite ce que je ressentais sans me dire : on verra plus tard. J’y accumule énormément de documentat­ion aussi, que je résume, imprime, puis stabilote, alors pendant un ou deux ans, le temps de l’écriture, je vis entourée d’un désordre fluo. C’est un marathon, écrire, un effort intense qui dure longtemps. Jusqu’à ce que vous sentiez que le texte est plus grand, plus important, que vous-même.»

(*) Éd. Stock, 19,50 €.

(*) De Diaty Diallo, éd. du Seuil, 17,50 €.

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