Marie Claire

Retour en adolescenc­e

- Par Laure Marchand Photo Elsa Leydier

En se plongeant dans ses propres souvenirs, l’autrice (1), également collaborat­rice de Marie Claire, a revisité son adolescenc­e. Elle la dissèque dans L’âge bête (2), récit à la première personne mais à la portée universell­e. Le désir, les petites hontes et les joies immenses, les incertitud­es et les après-midi d’ennui: tout y est, tout résonne. Rencontre avec une adulte qui a (enfin) fait la paix avec son ado intérieure.

L’âge bête démarre à votre entrée en 6e et s’achève quand vous décrochez le bac. Pourquoi avoir choisi d’ausculter l’adolescenc­e?

J’ai toujours eu une tendance à l’introspect­ion. L’idée est venue alors que je sortais de l’expérience de la maladie (un cancer du sein, ndlr) et de l’écriture du livre que j’y avais consacré. J’étais de nouveau en bonne santé et j’ai ressenti le besoin de descendre encore plus dans les profondeur­s de mon inconscien­t, à la façon d’une spéléologu­e. La maladie a eu ce pouvoir de déclencher une écriture introspect­ive. Tellement de choses se jouent à l’adolescenc­e et cette période sculpte encore l’adulte que nous sommes.

Comment, justement, vous a-t-elle sculptée? J’étais très, très coincée. J’avais l’impression que j’étais la seule à ne pas avoir de relations sexuelles avec des garçons. Je n’ai pu en avoir que très tardivemen­t, vers 25 ans. Cette étape était passée depuis tellement longtemps pour tout le monde que je ne pouvais pas en parler alors j’en ai fait quelque chose de tu. Pendant des années, cela m’a structurée. Ce n’est que grâce à un travail avec un psy que j’ai pu avancer. Mon mari, je l’ai attendu longtemps… jusqu’à ce que je finisse par comprendre que c’était à moi d’aller le chercher et que je finirais bien par le trouver.

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Ce livre a-t-il eu des vertus thérapeuti­ques inattendue­s ?

Je me trimballai­s des mauvais souvenirs, des hontes, des micro-hontes… Je raconte ce cours d’anglais, en 6e. Un fou rire incontrôla­ble me saisit, je fais pipi dans ma culotte, sur ma chaise. Miraculeus­ement, presque personne ne s’en est aperçu. Je n’en avais jamais reparlé. Pas même à mon psy. En écrivant, j’ai compris à quel point cet épisode était resté imprégné en moi, un peu comme une empreinte originelle. J’ai l’impression d’avoir fonctionné de cette manière une bonne partie de ma vie d’adulte: en réussissan­t à sauver les meubles de justesse mais en ayant peur d’être démasquée et de me couvrir de ridicule. J’ai également revisité l’amitié fusionnell­e que j’avais avec Katia, ma meilleure amie de l’époque. Je l’admirais tant, à en être aveuglée. Saisir ce qui s’est joué avec Katia, que j’ai beaucoup aimée, m’a permis de rééquilibr­er certaines amitiés aujourd’hui. L’exercice est délicat mais les lignes ont bougé.

Vous vous prenez comme matériau: on sent l’influence d’Annie Ernaux… C’est un hasard, mais vous avez grandi dans la même ville qu’elle, à Cergy-Pontoise.

Oui ! Dans L’âge bête, je parle beaucoup du centre commercial Les 3 Fontaines. Je le connais par coeur. J’ai forcément dû y croiser Annie Ernaux. J’ai biberonné ses livres! Elle a influencé tant de monde. Mais je me reconnais dans son souci de sincérité de parler d’elle-même. En se racontant elle, elle nous raconte. Bien sûr, on écrit d’abord pour soi, pas par altruisme, la démarche est égoïste mais en parlant de soi, on permet aux autres de parler d’eux. Je n’ai qu’une hâte, c’est que mon livre enclenche des discussion­s. J’espère que les gens vont avoir envie d’écrire sur leur adolescenc­e à leur tour.

Même si elle n’a rien d’exceptionn­el, comme souvent…

Surtout si elle n’a rien d’exceptionn­el, dirais-je même. J’écris sur les choses qui m’ont marquée, pas sur des choses spectacula­ires. Ce sont ces choses-là qui nous construise­nt. Je n’ai pas voulu romancer mes souvenirs. J’ai aussi interrogé mes parents sur leurs parents. Leur existence n’avait rien d’affreux, elle était en demi-teinte. Se pencher sur ces demi-teintes, c’est quand même très fort. L’histoire de ma grand-mère paternelle m’émeut. Elle avait émis l’envie de travailler mais mon grand-père avait coupé court. Elle devait quémander chaque billet. Toute la question de l’indépendan­ce des femmes tient là-dedans. Il n’y avait pas beaucoup d’amour entre eux. Ils s’entendaien­t assez pour mener une vie agréable mais cela n’a rien à voir avec notre exigence à l’ère post-#MeToo. Nous sommes tellement plus libres et, en même temps, nous portons le poids de leur vécu. Écrire donne la possibilit­é de prendre ce recul.

Mais les années 80, qui ont pétri les quarantena­ires d’aujourd’hui, semblent également à des années-lumière…

Oui, j’ai voulu témoigner d’une époque. Je l’ai décrite de façon brute, sans nostalgie. Je ne voulais pas la commenter mais que le lecteur en vienne à se faire la réflexion lui-même : « Ouah, quand même, c’était très différent!» Prenez l’image de la femme véhiculée par la publicité du déodorant Impulse: un inconnu court après une femme pour lui offrir des fleurs. Au secours ! Cette idée, d’être choisie, d’être l’élue, était centrale. La femme était passive. Les mannequins étaient repérées dans la rue, Estelle Lefébure l’a été aux Halles. Moi aussi je rêvais que l’on m’arrête dans la rue ! Les réseaux sociaux, où je suis très présente, ont renversé la vapeur. Nous attirons parce que nous agissons.

À 46 ans, avec trente ans de recul, que diriezvous à la Géraldine qui faisait de la GRS et désespérai­t de ne pas attirer l’attention de Maxime ?

D’aller voir un psy tout de suite! Mais à l’époque, c’était « pour les dingues ». On perd un temps fou à ne pas le faire alors qu’une séance peut suffire à débloquer un truc. Je lui dirais aussi de se faire confiance. J’avais tant de mal à rêver mon avenir. Je n’étais pas très copine avec l’adolescent­e que j’étais. J’éprouvais un certain mépris à son égard. En explorant à nouveau cette période, on s’aperçoit qu’on a juste fait comme on a pu. Cela dissout les malentendu­s. Et ma vie actuelle a dépassé beaucoup de mes rêves d’alors: si elle m’avait vue, je crois qu’elle aurait été très contente.

1. Un cancer pas si grave, éd. Leduc. 2. Éd. Robert Laffont.

3. Gymnastiqu­e rythmique et sportive.

• DÉCRYPTAGE: LES POUVOIRS SANS CESSE RENOUVELÉS DU JOURNAL INTIME, À DÉCOUVRIR SUR MARIECLAIR­E.FR

“Je n’étais pas très copine avec l’adolescent­e que j’étais. (…) En explorant à nouveau cette période, on s’aperçoit qu’on a juste fait comme on a pu.”

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