Marie Claire

La cuisine pop proustienn­e d’Aurélie Saada

- Par Charline Lecarpenti­er

Avec l’album Bomboloni*, qui emprunte son nom aux beignets qui ont régalé son enfance tunisienne, l’ex-moitié du duo Brigitte croque dans ses souvenirs de déracinée… pas tous enrobés de miel. Elle nous raconte la genèse de ces chansons qui réparent.

Depuis la fin du duo Brigitte, qu’elle formait avec Sylvie Hoarau, Aurélie Saada a réalisé le film Rose, avec Françoise Fabian, mais aussi composé des chansons pour C’est toi que j’attendais, documentai­re sur l’adoption signé Stéphanie Pillonca-Kervern sorti en 2020. Les thèmes de la filiation et de la transmissi­on sont encore au coeur de Bomboloni, qui explore ce qui reste du passé et ce qu’on décide d’en faire, avec des chansons cinématiqu­es, émouvantes, puissantes, menées par une flûte au pouvoir réparateur. Celles-ci nous avaient d’ailleurs convaincu·es d’inviter leur autrice à se produire pour les 85 ans de Marie Claire, le 16 novembre dernier au musée d’Orsay.

Bien que son titre et sa pochette fassent référence à la Tunisie, l’album n’est pas si simple à géolocalis­er…

Je me suis isolée seule à la campagne pour l’écrire, j’avais envie de raconter des histoires et de les envelopper dans du sucre et du miel, ce qui m’évoque la sensualité des icônes des années 50-60, de Rita Hayworth à Sophia Loren. Il a été enregistré à Paris et il n’y figure aucun instrument oriental, mais il est en lien avec cette générosité de la Méditerran­ée, où j’ai mes origines: ma mère, mes tantes, avec leurs belles toilettes, bien peignées, mais qui plongeaien­t aussi leurs mains dans la pâte pour nourrir toute la tribu.

Ces sujets étaient-ils depuis longtemps en attente d’un album solo ?

Il y a des chansons qu’on aurait pu chanter avec Brigitte, qui était un projet où je mettais, aussi, beaucoup de mes expérience­s vécues. Ici, j’ai voulu écrire sur la manière dont on transforme les situations. J’y parle entre autres de mon rapport à ma mère, mais aussi aux hommes qui sont arrivés ensuite et ont réparé mon coeur quand j’étais une mère seule. J’évoque sur le titre Tunisie ce que vivent beaucoup d’enfants d’immigré·es: on ne retourne pas forcément dans le pays de ses parents. Mais j’ai finalement mangé les meilleurs «bomboloni » de ma vie à Sidi Bou Saïd, où les photos de l’album ont été prises.

C’était la première fois que vous vous rendiez en Tunisie ?

Oui, ça m’a bouleversé­e, c’est le pays que mes grands-parents ont quitté dans la douleur. Ils sont issus de la communauté juive de Tunisie, partie dans les années 60, ce dont ils ont toujours parlé avec nostalgie. Sur la pochette de l’album, je porte la robe que portait ma mère lors de la cérémonie du henné précédant son mariage…

Cet album a un côté « fin de thérapie »… (Rires.) C’est quand on a fini sa thérapie qu’on ne peut plus arrêter d’écrire ! Je dis souvent : « D’abord je crie, après j’écris. » Le titre La grange aux belles a été un vrai sujet pour moi : je me suis demandé si je pouvais l’écrire (elle y évoque de manière ténue et poétique le harcèlemen­t sexuel dont elle a été victime, enfant, ndlr). Je l’ai chanté avec une voix très fragile et très aiguë. Chaque chanson est le récit d’une situation. Le lien entre elles, c’est la résilience. Des situations qu’il faut embrasser pour pouvoir avancer. Tant qu’on est vivant, on a toujours la capacité de faire quelque chose de joyeux de ce qui nous est arrivé.

(*) (Columbia).

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