Marie Claire

Les années super 8, le roman-film d’Annie Ernaux

- Par Emily Barnett

Dans un émouvant montage commenté de ses archives personnell­es, souvenirs de Noël ou vacances en famille, l’écrivaine récemment nobélisée fait ressurgir les années 70 et 80, à la croisée de la sociologie et du journal intime.

QUI A LU SES LIVRES S’EST FORCÉMENT FORGÉ UNE

On imagine une jeune IMAGE D’ANNIE ERNAUX. femme gracieuse et forte, douce et tourmentée, bourgeoise mais complexée. La raison : son origine sociale modeste – elle était fille d’épiciers en Normandie – qui la hante depuis des années ; malgré ses galons de professeur­e, puis d’écrivaine reconnue. Une « honte » qu’elle n’a cessé de vouloir conjurer par l’écriture. Et aujourd’hui grâce aux images. Dans Les années super 8, coréalisé avec son fils David, Annie Ernaux se dévoile à travers des films tournés en super 8 par son mari, Philippe, dans les années 70. Des archives familiales

au charme tremblé, en vacances au Chili, en Albanie ou au Maroc, révélant une belle jeune femme souriante, de charmants bambins (ses deux fils), quand ce n’est pas une maison peuplée d’êtres chers et cantonnés jusqu’ici au hors-champ de la création (la mère de l’écrivaine, « héroïne » récurrente de ses livres). Soudain, ces coulisses, nous y avons accès, et c’est comme un petit miracle qui s’accomplit devant nous.

CE QUE L’AUTRICE NOUS OFFRE, C’EST AUSSI UN PEU

HISTOIRE. Les années super 8 fonctionne NOTRE comme un film des origines, réanimant une époque et la culture hippie, le postcoloni­alisme et le communisme triomphant. Ce film d’une heure à peine dévoile l’intimité d’une classe sociale, avec ses moeurs et sa déco intérieure aux papiers peints floraux et marronnass­es (attention les yeux !). La voix off de la romancière se pose avec malice et nostalgie sur ces images. Elle se moque de son air un peu engourdi et observe son couple se déliter à mesure que les enfants grandissen­t – le point de rupture sera atteint avec la publicatio­n de La femme gelée, en 1981, livre coup-de-poing sur l’aliénation des femmes mariées. Sa voix éraillée et enfantine commente ces visions de bonheurs anciens, et leur donne, après coup, un sens bouleversa­nt. Quand le film se termine, il continue dans nos têtes, comme si nous avions fusionné avec toutes les failles et les secrets d’une mémoire. D’Annie Ernaux et David Ernaux-Briot.

En salle le 14 décembre.

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La romancière dans les années 70, avec ses fils David (au centre) et Éric (à d.).

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